Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
Cette page n’a pas encore été corrigée


fils d’aller trouver le père du blessé, pour lui faire ses excuses. Loré obéit. Cette démarche honnête n’adoucit point l’esprit inflexible de Bertacca. Il fit saisir Loré par ses gens, pour lui marquer plus de mépris, et lui fit couper la main sur une mangeoire, en lui disant : « Retourne à ton père, et dis-lui que les blessures se guérissent par le fer, et non par des paroles. » Cette cruauté irrita tellement Guillaume, qu’il fit prendre les armes aux siens pour en tirer vengeance. Bertacca de son côté se disposa à se défendre. La division fut non-seulement dans cette famille, mais encore dans toute la ville de Pistoia. L’un des ancêtres de ces Cancellieri avait eu deux femmes. L’une s’appelait Blanche, ce qui fit donner au parti formé par ceux qui descendaient d’elle le nom de Blancs. Par opposition, les autres se nommèrent le parti des Noirs. Ces deux partis furent longtemps en guerre. Leurs combats entraînèrent la perte de beaucoup de familles et la mort d’une grande quantité d’hommes. Incapables de rétablir la paix entre eux, fatigués du mal qu’ils se faisaient réciproquement, désirant mettre un terme à leurs dissensions, ou les accroître en les faisant partager à d’autres, ils se rendirent à Florence. Le parti des Noirs, qui avait des liaisons avec les Donati, fut soutenu par Corso, chef de cette famille. Celui des Blancs, afin de se procurer un puissant appui contre les Donati, eut recours à Veri, de la maison des Cerchi, qui ne le cédait en rien à Corso.

Ces ressentiments apportés de Pistoia, réveillèrent ceux qui existaient depuis long-temps entre les Cerchi et les Donati. Ils se manifestaient de manière à faire craindre aux Prieurs et aux autres citoyens que ces partis n’en vinssent aux mains d’un moment à l’autre, et ne missent toute la ville en combustion. Ils prièrent donc le pape de venir à leur secours pour remédier à un mal contre lequel leur autorité était insuffisante. Ce pontife manda Veri, et lui ordonna de faire la paix avec les Donati. Veri parut étonné, et dit qu’il n’y avait aucune inimitié entre eux, et qu’il ne savait pas pourquoi la paix serait nécessaire, puisque la guerre n’existait pas. Il revint de Rome sans avoir rien conclu.

Les esprits s'échauffèrent au point que le plus léger accident pouvait allumer le feu de la guerre civile. Il l’alluma en effet. On était au mois de mai, temps auquel il y a des réjouissances publiques à Florence les jours de fête. Quelques jeunes gens de la famille des Donati, montés à cheval avec leurs amis, s’arrêtèrent auprès de la Trinité pour voir des dames danser ; il en arriva d’autres de la maison des Cerchi, accompagnées aussi de plusieurs gentilshommes. Ne reconnaissant point les Donati qui étaient en avant, et désirant de leur côté jouir du spectacle de la danse, ils les heurtèrent en faisant avancer leurs chevaux. Les Donati s’en tenant offensés, mirent l’épée à la main. Les Cerchi ripostèrent vaillamment, et après plusieurs blessures données et reçues de part et d’autre, on se sépara. Ce désordre causa beaucoup de malheurs. La division devint générale ; petits et grands tous y prirent part; les factions es donnèrent le nom de Blancs et de Noirs. Celle des Blancs avait pour chefs les Cerchi, auxquels se joignirent les Adimari, les Abati, une partie des Tosinghi, des Bardi, des Rossi, des Frescobaldi, des Nerli, des Manelli, tous les Mozzi, les Scali, les Gherardini, les Cavalcanti, les Malespini, les Bostichi, les Giandonati, les Vecchietti, et les Arrigucci. Plusieurs familles du peuple s’associèrent à eux avec tous les Gibelins qui étaient à Florence : de sorte que le grand nombre de leurs partisans les avaient rendus maitres presqu’en entier du gouvernement de cette ville. De l’autre côté, les Donati étaient à la tête de la faction des Noirs, et avaient avec eux ceux des familles mentionnées ci-dessus, qui ne s’étaient point réunis aux Blancs. Leur parti s’était encore accru des Pazzi, des Bisdomini, des Manieri, des Bagnesi, des Tornaquinci, des Spini, des Buondemonti, des Gianfigliazzi et des Brunelleschi. Ce désordre contagieux s’étendit bientôt de la ville à toute la campagne. Les capitaines de quartier, tous ceux qui aimaient les Guelfes et la république, craignirent qu’elle n’entrainât la ruine de Florence, en y faisant. renaître le parti des Gibelins. Ils envoyèrent une seconde fois prier le pape Boniface de chercher un remède à ces discordes, s’il ne voulait point voir cette ville, qui avait toujours été le bouclier de l’église, se détruire ou s’abandonner aux Gibelins. Matteo d’Acqua Sparta, cardinal portugais, s'y rendit par ordre de ce pon-