Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/387

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316 L’ART DE je ne puis, autant qu’il est en moi, remédier à sa perte qu’en m’occupant de sa mémoire, et en me rappelant les différents traits qui mar-quent ou la pénétration de son esprit, ou la maturité de sa raison ; et à cet égard, je ne puis citer rien de plus récent que l’entretien qu’il eut dans ses jardins avec Fabrizio Colonna[1], où celui-ci parla avec tant d’étendue sur l’art de la guerre, et où Cosimo se lit remarquer par des questions si heureuses et si sensées. J’étais présent à cette conversation, ainsi que 9 uelq u es-uns de nos amis, et je me suis déterminé à !’é-crire, pour que ceux des amis de Cosimo qui en ont été comme moi les témoins se rappellent de nouveau et son talent et ses vertus. Ses au-Ires amis regretteront de n’avoir pu s’y trouver, et pourront retirer quelque utilité des sages le-çons qu’y donna, non-seulement sur l’art mili-taire, mais même sur la vie civile, un des home mes les plus éclairés de ce siècle. Fabrizio Colonna, à son retour de la Lombardie, où il avait longtemps combattu avec gloire pour le roi d’Espagne, passa par no-rence, et s’y arrêta quelques jours pour visiter le grand duc, et revoir quelques gentilshommes avec lesquels il avait été lié autrefois. Cosimo résolut de l’inviter dans ses jardins, non pas tant pour faire éclater sa magnificence que pour être à portée de discourir longtemps avec lui. Il crut ne pas devoir laisser échapper l’occasion de recueillir, sur les importantes questioris qui faisaient l’objet de ses pensées habituelles, les divers renseignements qu’il devait naturelles ment attendre d’un tel homme. Fabrizio acecepta cette invitation. Plusieurs des anus de Cozimo s’y trouvaient également réunis, entre autres Zanobi Buondeltnonti, Battista della Falla, et Luigi Alarnanni, tous jeunes gens fort aimés de Cosimo, et passionnés pour les mêmes objets d’etude que lui. Je ne retracerai ici ni leur mérite, ni leurs rares qualités ; ils nous I


en donnent tous les jours les preuves les plus brillanleji. Fabrizio fui reçu avec toutes ! es iJistinciiuns convenables au Ueu, aux pcr&onues et aux ciroonsiances.

Lorsque le repas Ait achevé, qu’on eut levé les tables et (jue les convives eurent joui de tous les plaisirs de la ftUe, sorte de diiiraclion à laquelle les grands liotnnies occupés de plus hautes peni>ees n’accordent d’ordinaire que j)eu de temps, Godnio, toujours attentif nn prin* cipal objet qu’il ii’eiait proposé, pritoocnsiOD de l’excès de la chaleur (on était alors anx plus longs jours de i’ete) pour conduire la compagnie dans la partie la plus retirée, et sous les ombrages les plus t-pai* de ses jardins. An ivcs là, les uns s’assirent sur l’herbe, le « autres sur des sièges placés sous des arbres touffus. Fabrizio trouva cet endroit enchanié ; il considéra particuliercnif ni quelques-uns de ces arbres (ju’il avait peine à reconnaître. Cosimo s’en apciut t « Une partie de ces arbres vous e^i peut-être inconnue, lui ditâl ; il ne font pas s’en étonner, car la phipart ciaîent plus redierchés des anciens qu’ils ne le sont j^armi nous. » Il lui en (iii les noms, et lui raconta comment son grand père Bernardo s’était siogulièrcnient oo cupé de celte nilture. < J’avais di J i p usé à ce que vous dites, répliqua Fabrizb ; ce goAt de votre grand —père et ce lieu me rappellent quelques princes du royaume de Naples (lut ont les mômes goûts, et se pUi^eni à ce genre de culture. • Alors il s’arrêta ([uelqucs Instants comme indéi^ s’il devait poursuivre : < Si je ne craignais de blesser, ajouta-t-il enfin, je vous dirais mon opinion à cet égard,.. Que craindre, après tout ? je parle à des amis, et ce que je vais dire est uuiquemeni par forme de conversation, et non pour offenser qui que ce soit. Oh ! combien il vaudrait miens, ce me semble, imiler les anciens dans leur mile vigueur et leur austérité que dans leur luxe et leur mollesse ; dans ce qu’ds pratiquaient aux ardeurs du soleil, que dans ce qu’ils laisaieni à l’ombre ! Cest à l’antiquité, danssa source pure et avant qu’elle lût corrompue, qu’il ftut aller puiser pour en prendi e les mœurs. Ce fut lors(|U( ; de semblables goûts s’emparèrent des Romains que ma paii’ie fut perdue. > Cosimo lui répond Ibisi pour éviter l’ennui de répéter si souvent ; « Celui-ci dit, cdni-làrépllqun, t J’indl*

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  1. Fabrizio Colonna, principal interlocuteur de ces dialogues, était tin capitaine fort expérimenté, très-habiledans le couvi’, et qui, comme la plupart des petits minces chefs de troupes. ou condottieri. se vendait au plus offrant. Il avait d’abord suivi le parti des Français, et avait reçu de Charles Viti de grandes propriétés dans le royanme de Naples ; mais, quand il vit que nos affaires déclinaient en Italie, il : attacha au parti des Espagnol,. Il reçut de Charles-Quint la charge de connétable du royaume de Naples, et mourut en 1320.