Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/405

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ce petit nombre, disait : Voilà beaucoup de chevaux pour une ambassade ; mais quand on en vint aux mains, il fut mis en déroute. L’his- torien qui nous a transmis les détails de cette bataille condamne ces catafrattes. Ils n’étaient d’aucune utilité, dit-il ; ayant le visage cou- vert, ils ne pouvaient ni voir ni attaquer > l’ennemi ; s’ils venaient à tomber, le poids de

leurs armes les empêchait de se relever, et

ils étaient hors d’état de se défendre. »

Je soutiens donc que la préférence que les peuples ou les rois donnent à leur cavalerie sur leur infanterie est un gage de leur faiblesse, et les expose à toutes sortes de désastres. L’Italie, dans ces derniers temps, en a fourni la preuve : elle n’a été pillée, ruinée et saccagée par les étrangers, que parce qu’elle n’a pas tenu compte de ses milices à pied, et a mis toute sa confiance dans ses troupes à cheval. Sans doute il faut avoir de la cavalerie, mais non pas comme la base, et seulement comme la force secondaire de son armée. Elle est très-utile, nécessaire même pour aller à la découverte, courir, ravager le pays ennemi, inquiéter, tourmenter l’ennemi, le tenir toujours sous les armes, et lui intercepter ses vivres ; mais dans les batailles et dans la guerre de campagne (objet important de la guerre et but principal des armées), elle ne peut rendre de véritables services ; elle n’est utile que pour poursuivre l’ennemi lorsqu’il est mis en dé- route, et elle ne doit nullement balancer l’importance de l’infanterie.

Cos. Je vous prie de m’éclaircir quelques doutes. Comment est-il arrivé que les Parthes, qui ne faisaient la guerre qu’à cheval, aient partagé l’empire du monde avec les Romains ? comment l’infanterie peut-elle résister à la cavalerie ? d’où vient enfin la faiblesse de celle-ci et la force de celle-là ?

FABR. Je vous ai dit déjà, ou du moins c’était mon intention, que mon système de la guerre ne passait pas les bornes de l’Europe. Je pourrais ainsi me dispenser de vous rendre raison de ce qui se fait en Asie ; mais je veux bien vous faire observer que l’armée des Parthes était toute différente de l’armée des Romains. Ceux-là étaient tous à cheval, s’avançaient contre l’ennemi pêle-mêle et en désordre, et rien n’était plus varié et plus incertain que leur manière de combattre. Les Romains, au contraire, combattaient presque tous à pied, et marchaient à l’ennemi en serrant leurs rangs. L’un et l’autre peuple vainquit selon que le lieu du combat était resserré ou étendu. Dans le premier cas, les Romains étaient vainqueurs ; dans le second cas c’étaient les Parthes, dont l’armée trouvait de grands avantages dans le pays qu’elle avait à défendre. C’étaient de vastes plaines éloignées de la mer de plus de mille milles, arrosées par des fleuves séparés l’un de l’autre de trois ou quatre journées de marche, enfin n’offrant qu’à de grandes distances des villes et des habitants. Dans ce pays, protégé par une cavalerie très-active, qui aujourd’hui se présentait dans un lieu et reparaissait le lendemain à cinquante milles de là, l’armée romaine, ralentie par le poids de ses armes et l’ordre de sa marche, ne pouvait faire un pas sans courir les plus grands dangers. Voilà la cause de la supériorité de la cavalerie des Parthes, de la ruine de l’armée de Crassus, et des périls que courut celle de Marc-Antoine.

Au reste, comme je vous l’ai dit, non intention n’est pas de vous entretenir des armées hors d’Europe, je me borne à vous parler des institutions des Romains et des Grecs, et des institutions actuelles des Allemands ; je viens donc à votre autre question. Vous me demandez par quel art ou quelle valeur naturelle l’infanterie est supérieure à la cavalerie. D’abord la cavalerie ne peut aller partout comme l’infanterie ; et s’il faut changer l’ordre de bataille, elle ne peut exécuter le commandement aussi promptement que celle-ci ; souvent il est nécessaire, en marchant en avant, de tourner bride et bientôt de faire volte-face, de s’ébranler quand on est arrêté, ou de s’arrêter au milieu de la marche. Toutes ces évolutions, sans aucun doute, seront exécutées avec plus de précision par l’infanterie que par la cavalerie. Une troupe à cheval, mise en désordre par le choc de l’ennemi, ne reprend que très-difficilement ses rangs, quoique ce choc soit peut-être resté sans succès. C’est un désavantage que n’a point l’infanterie. Il peut arriver aussi qu’un cheval sans vivacité soit monté par un homme intrépide, ou un cheval vif par un homme sans cœur, et cette disparité d’inclinations ne peut porter que le désordre dans les rangs.