Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/410

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bien d’avance où je dois me retirer étant repoussé, et qui est chargé de me remplacer, alors, assuré d’un prompt secours, je combattrai avec beaucoup plus de courage. Si je suis aux seconds rangs, la défaite des premiers ne m’effraiera pas, car je m’y serai attendu et je l’aurai même désirée, pour qu’à la retraite de ceux-ci la victoire soit mon ouvrage.

Ces exercices sont indispensables pour une armée nouvelle, et même nécessaires à une vieille armée. Quoique les Romains y fussent habitués dès l’enfance, on voit cependant que leurs généraux les leur faisaient répéter avant de les mener à l’ennemi. Joseph raconte dans son histoire qu’à force d’observer ces continuels exercices des armées romaines, les nombreux vivandiers qui suivent les camps étaient parvenus à savoir très-bien marcher et combattre en rangs, et rendaient ainsi de très-grands services un jour de bataille. Mais si vous formez une armée de nouveaux soldats, ou pour les envoyer sur-le-champ au combat, ou pour les tenir prêts dans l’occasion, tous vos soins sont perdus sans ces continuels exercices, et des bataillons individuellement et de toute l’armée réunie. Cette instruction étant indispensable, il faut employer ses plus grands soins pour la donner à qui ne l’a pas, et la conserver à ceux qui sont déjà formés ; on a vu les meilleurs généraux se donner des peines excessives pour arriver à ce double but.

Cos. Il me semble que ces considérations vous ont un peu écarté de votre sujet : vous nous parlez déjà d’une armée complète et d’une bataille, sans avoir encore rien dit du mode d’exercices pour les bataillons.

Fabr. Vous avez raison : ma prédilection pour les règles anciennes, et mon chagrin de les voir si fort négligées, sont la cause de ces écarts. Mais je reviens à mon sujet. Ce qu’il y a de plus important dans les exercices des bataillons, comme je vous l’ai déjà dit, c’est de savoir conserver ses rangs. Pour y réussir, il faut les exercer longtemps à cette manœuvre qu’on appelle le limaçon. Comme notre bataillon est de quatre cents fantassins pesamment armés, nous nous réglerons d’après ce nombre. Ainsi j’en formerai quatre-vingts rangs à cinq hommes de hauteur, et dans une marche précipitée ou ralentie, je les ferai, pour ainsi dire, se renouer et se délier entre eux sans se confondre. Mais il faut moins dire cet exercice que le montrer aux yeux, et il est inutile de s’y arrêter plus longtemps ; il est connu de tous ceux qui ont vu une armée, et il n’a d’autre avantage que d’habituer les soldats à garder leurs rangs.

Il s’agit maintenant de former en bataille un bataillon ; on peut y procéder de trois façons différentes : 1° en le faisant très-épais et lui donnant la forme de deux carrés ; 2° en en faisant un carré dont le front soit à cornes ; 3° en laissant au milieu du carré un espace vide, qu’on appelle la place. La première de ces manœuvres s’exécute de deux manières : l’une est de faire doubler les rangs ; le second rang entre dans le premier, le quatrième dans le troisième, le sixième dans le cinquième, et ainsi de suite. Par là, au lieu de quatre-vingts rangs à cinq hommes de hauteur, vous en avez quarante à dix. Vous faites ensuite une seconde fois cette opération, et il ne vous reste plus que vingt rangs à vingt hommes de hauteur. Votre bataillon forme ainsi deux carrés à peu près : car, quoiqu’il y ait autant d’hommes d’un côté que de l’autre, chaque soldat tou- chant le coude de son voisin, tandis que celui qui est derrière en est séparé au moins de deux brasses, il en résulte que le bataillon a beau- coup plus de hauteur que de largeur. Comme j’aurai souvent à parler des différentes parties du bataillon ou de l’armée entière, sou venez- vous que, lorsque je dirai la tête ou le front, ce sera le devant de l’armée ; la queue, les derrières ; les flancs, les côtés. Je ne mêle pas dans les rangs les cinquante velites ordinaires du bataillon ; lorsqu’il est formé, ils se répan- dent sur les deux flancs. Voici l’autre manière de former en bataille un bataillon ; comme elle est beaucoup plus utile que la première, je vous la développerai avec plus d’étendue. Je suppose que vous n’a- vez point oublié le nombre de soldats, de chefs et d’armes différentes qui composent notre bataillon. L’objet de cette manœuvre est, comme nous l’avons dit, de former le bataillon de vingt rangs à vingt hommes par rang, cinq rangs de piques en tête, et les quinze autres de boucliers. Deux centurions sont à la tête, deux autres sur les derrières, et rempla-