Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/671

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réponses évasives et incertaines, il se décida à brusquer les événements, de manière à les amener forcément à sa volonté. Il part en effet de Rome avec toutes les troupes qu’il peut rassembler, marche vers Bologne, et il envoie demander aux Vénitiens la neutralité, et au roi de France des secours. Pressés par le peu de temps qu’ils avaient pour délibérer, craignant d’irriter ce pontife s’ils refusaient ou s’ils temporisaient, ceux-ci acquiescent aussitôt à sa demande. Le roi lui fit passer des troupes, et les Vénitiens restèrent neutres.

Gaston de Foix était à Bologne avec son armée, lorsqu’il apprit la révolte de Brescia. Il avait à choisir entre deux chemins pour aller faire rentrer cette place dans le devoir. L’un se trouvait sur les possessions du roi, mais il était long et pénible ; l’autre plus court, traversait les états du marquis de Mantoue. Il faillait passer non-seulement sur les terres de ce seigneur, mais encore sur des espèces de chaussées élevées entre les lacs et les marais dont ce pays est couvert, et fermées par des forts et autres moyens de défense. Décidé à prendre cette dernière route, Gaston, pour vaincre toute difficulté, et ne pas laisser le temps au marquis de délibérer, se mit en marche sur-le-champ avec son armée, et lui fit signifier qu’il eût à lui ouvrir tous les passages. Les clefs lui en furent envoyées à l’instant par le marquis de Mantoue effrayé et surpris de cette résolution brusque et inattendue. Il ne les eût jamais accordées, si Gaston eût mis moins de vivacité dans ses démarches. En effet, il avait un prétexte plausible pour se refuser à une semblable demande ; il était entré dans la ligue des Vénitiens et du pape, et l’un de ses fils était au pouvoir de ce pontife ; mais il y acquiesça, parce qu’il se vit serré de près si promptement qu’il n’eut pas le temps de la réflexion.

Ce furent des causes de ce genre dont nous avons développé plus haut toute la force, qui obligèrent les Étrusques intimidés par la présence de l’armée des Samnites, à reprendre les armes, quoiqu’ils s’y fussent constamment refusés auparavant.


CHAPITRE XLV.
Est-il plus avantageux de soutenir d’abord le choc de l’ennemi et de l’attaquer ensuite vivement que de commencer le combat avec impétuosité ?

Les deux consuls romains, Décius et Fabius, faisaient la guerre, l’un contre les Samnites, l’autre contre les Étrusques. Comme ils livrèrent bataille en même temps, il est à propos d’examiner quelle est la meilleure des deux méthodes suivies par ces généraux.

Décius s’élança sur l’ennemi de toutes ses forces et avec toute l’impétuosité possible. Fabius se contenta de soutenir son premier choc. Persuadé qu’une attaque mesurée lui serait plus avantageuse, il réserva l’ardeur impétueuse de ses troupes pour l’instant où la fougue et le premier feu de l’ennemi se ralentiraient. L’événement fut beaucoup plus favorable au plan de conduite de Fabius, qu’à celui de Décius. Voyant ses soldats épuisés par leurs premiers efforts, et plus disposés à fuir qu’à combattre, Décius, jaloux d’acquérir par le trépas la gloire prête à lui échapper par la perte de la bataille, se dévoua, à l’exemple de son père, pour les légions romaines. Lorsque Fabius l’apprit, il voulut obtenir en vivant une gloire aussi brillante que son collègue l’avait acquise par sa mort. Déployant donc avec vigueur toutes les forces qu’il avait réservées pour cet instant du combat, il remporta la victoire la plus signalée.

Cet exemple prouve que la méthode de Fabius est la plus sûre et la plus digne d’être suivie.


CHAPITRE XLVI.
Pourquoi le même caractère se conserve-t-il assez longtemps dans les familles.

Les villes différent souvent les unes des autres non-seulement par leurs mœurs et leurs institutions, mais encore par leurs habitants, qui sont tous d’un caractère plus dur ou plus doux. Ce n’est pas entre les villes seulement que l’on remarque cette différence ; elle se retrouve aussi entre les familles d’une même cité. Toutes les villes justifient la vérité de cette assertion ; Rome en offre beaucoup d’exemples. Les Manlius