Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/673

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suite plusieurs fois, en conférer avec les députés des commissaires de l’armée. Il se rendait à ces conférences non en secret, mais à découvert, et accompagné de plusieurs Pisans, qu’il laissait seulement à l’écart, lorsqu’il voulait s’entretenir avec les Florentins. Cette circonstance devait faire reconnaître sa duplicité, parce qu’il n’était pas vraisemblable qu’il eût osé traiter une affaire de ce genre aussi ouvertement, s’il l’eût fait de bonne foi. L’envie de devenir maîtres de Pise aveugla tellement les Florentins, que sur l’avis de cet imposteur, ils s’avancèrent vers la porte de Lucques où, par une suite de sa double trahison, ils perdirent malheureusement plusieurs de leurs officiers, et une grande partie de leurs troupes.


CHAPITRE XLIX.
Une république qui vont se conserver libre doit prendre chaque jour de nouvelles précautions. Services qui méritèrent à Q. Fabius le surnom de Maximus.

Nous avons déjà dit que les républiques doivent nécessairement voir naître chaque jour dans leur sein des maux qui exigent des remèdes dont l’efficacité réponde à l’étendue de ces mêmes maux. Si jamais une cité en éprouva d’étranges et d’inattendus, ce fut celle de Rome. Tel fut le complot que toutes les dames romaines parurent avoir formé de faire périr leurs maris, tant il s’en trouva qui les avaient déjà empoisonnés ou qui avaient préparé du poison pour commettre ce crime. On peut aussi mettre de ce nombre la conjuration des Bacchanales, découverte dans le temps de la guerre contre la Macédoine, et à laquelle plusieurs milliers d’hommes et de femmes avaient déjà pris part. Elle serait devenue fort dangereuse pour cette ville, si elle n’eût pas été découverte, ou que les Romains n’eussent pas été accoutumés à punir des coupables lors même qu’ils étaient en très-grand nombre.

Quand on n’aurait pas une infinité d’autres preuves de la grandeur et de la puissance de cette république, on en serait convaincu par la manière dont elle sut châtier les crimes. Elle ne craignit point de faire périr juridiquement une légion et une ville entière ; d’exiler dix-huit mille hommes, en leur imposant des conditions si extraordinaires que l’exécution ne semblait pas possible pour un seul, loin de l’être pour un si grand nombre. Ce fut ainsi qu’elle relégua en Sicile les soldats qui s’étaient laissé vaincre à la bataille de Cannes, en leur ordonnant de manger debout, et de ne point loger dans les villes. Mais le plus terrible des châtiments, était de décimer les armées, en fai- sant mourir, par la voie du sort, un homme sur dix. On ne pouvait trouver de manière plus effrayante pour punir une multitude ; car lors- qu’elle commet des fautes dont l’auteur est in- connu, on ne peut la châtier tout entière, parce que le nombre des coupables est trop grand. Infliger des peines à une partie, et laisser l’au- tre impunie, c’est se rendre injuste envers les premiers, et encourager les seconds à mal faire encore. Mais lorsque tous ont mérité la mort, par Ja et que l’on se contente de les décimer voie du sort, ceux que le sort destine au sup- plice ne peuvent se plaindre que de sa rigueur, ceux qui lui échappent doivent craindre à l’ave- nir de se rendre coupables, de peur d’en être une autre fois les victimes. Quoique ces sortes de maladies aient dans une république des suites funestes, elles ne sont pas mortelles, parce que l’on a presque toujours le temps d’y remédier. Il n’en est pas de même de celles qui attaquent les fondements de l’état ; elles entraineraient sa ruine, si une main habile n’en arrêtait les progrès. La générosité avec la- quelle les Romains accordaient le droit de cité à des étrangers, avait attiré dans Rome beau- coup de nouvelles familles. Elles exerçaient déjà une si grande influence dans les élections, que le gouvernement commençait à s’altérer sensi- blement, et à s’éloigner des institutions et des hommes, que l’on avait coutume d’honorer au- paravant. Quintus Fabius qui était alors cen- seur, s’en apercevant, renferma dans quatre tribus les familles qui faisaient naître ce dés- ordre, afin que resserrées dans des bornes aussi étroites, elles ne pussent corrompre Rome entière. Fabius avait bien apprécié la nature du mal, et y avait apporté, sans trou- ble, un remède convenable. Sa conduite parut si digne d’éloges, qu’elle lui mérita le surnom

FIN DES DISCOURS SUR TITE-LIVE, Digitized by Google