Page:Oeuvres complètes de N. Macchiavelli, avec une notice biographique par J. A. C. Buchon.djvu/694

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haut, afin que la connaissance de leur origine et de leurs progrès, serve du moins à en pré- venir les effets les plus fâcheux. On doit d’a- bord se rappeler que lorsque l’Empire eut perdu le pouvoir et la considération dont il avait joui jusqu’alors en Italie, et que l’autorité du pape y prit de la consistance, ce pays fut divisé en plusieurs élats. La plupart des grandes villes prirent les armes contre la noblesse, qui, appuyée par l’empereur, les faisait gémir sous la plus cruelle oppression. Le pape les seconda dans leurs entreprises, et accrut par-là sa puissance tem- porelle. . D’autres tombèrent sous la domination de leurs citoyens ; en sorte que l’Italie devint sujette de l’Église et de quelques républiques. Les princes ecclésiastiques, étrangers au mé- tier de la guerre, se servirent les premiers de troupes mercenaires. Alberic de Como, né dans la Romagne, est celui qui mit le plus en crédit cette espèce de milice. C’est à son école que se formèrent les Braccio et Sforce, qui alors étaient les arbitres de l’Italie. A ceux-ci ont succédé tous ceux qui, jusqu’à présent, ont commandé les armées dans ce pays. C’est à leurs hauts faits que l’on dut de voir l’Italie envahie par Charles VIII, pillée et dé- vastée par Louis XII, opprimée par Ferdinand et insultée par les Suisses. Les chefs de ces milices commencèrent par mettre de côté l’in- fanterie, d’abord pour se rendre eux-mêmes plus nécessaires, ensuite parce que n’ayant point d’états et ne subsistant que de leur in- dustrie, il ne pouvaient rien entreprendre avec un petit corps d’infanterie, ni en nourrir un plus considérable. Ils trouvaient donc mieux leur compte à la cavalerie, dont un nombre même médiocre les faisait vivre avec honneur. A peine comptait-on deux mille fantassins dans une armée de vingt mille hommes. Ajou- tez à cela que pour rendre leur métier moins pénible, et surtout moins périlleux, ils s’étaient mis sur le pied de ne point se tuer réciproque- ment dans les escarmouches, se contentant de faire des prisonniers, qu’encore ils renvoyaient sans rançon. Ils ne faisaient jamais d’assaut la nuit, et l’assiégé ne faisait jamais également de sortie pendant la nuit ; ils ne campaient que dans la belle saison, enfin, ils ne faisaient point de retranchement dans leur camp. Une disci- pline aussi bizarre, inventée pour échapper au danger et à la crainte, rendit l’Italie esclave, et lui fit perdre la considération dont elle avait joui jusqu’alors. CHAPITRE XIII. Des troupes auxiliaires, mixtes et nationales. Les troupes auxiliaires sont celles qu’un prince emprunte de ses alliés pour le secourir et le défendre. C’est ainsi que le pape Jules II, ayant fait, dans l’entreprise de Ferrare, la triste expérience du danger d’employer des milices mercenaires, eut recours à Ferdinand, roi d’Espagne, qui s’engagea par un traité à lui en- voyer des secours de troupes. Cette espèce de milice peut être utile à celui qui l’envoie, mais elle est toujours funeste au prince qui s’en sert ; car si elle est battue, il en supporte la perte, et si elle est victorieuse, il est à sa merci. L’histoire ancienne est rem- plie de faits qui viennent à l’appui de ce que j’avance. Mais pour me borner à un exemple récent, Jules Il voulant s’emparer de Ferrare, s’avisa de confier le soin de cette expédition à un étranger ; mais il survint, heureusement pour lui, un incident auquel il dut de ne point porter la peine d’une telle imprudence. C’est que ses troupes auxiliaires ayant été défaites à Ravenne, le vainqueur se vit inopinément atta- qué par les Suisses qui le mirent en fuite ; en sorte que ce pontife échappa et à l’ennemi qui venait d’être vaincu à son tour, et à ses trou- pes auxiliaires qui avaient eu peu de part au gain de la bataille. Les Florentins, voulant assiéger Pise et se trouvant dépourvus de milices nationales, pri- rent dix mille Français à leur service, faute qui leur attira plus de maux qu’ils n’en avaient éprouvé jusqu’alors. L’empereur de Constantinople, menacé par ses voisins, fit entrer en Grèce dix mille Turcs, qu’il n’en put faire sortir à la fin de la guerre ; et cette province fut asser- vie aux infidèles.

Celui donc qui veut se mettre hors d’état de vaincre, n’a qu’à employer cette espèce de milice qui est encore pire que les troupes mer- cenaires, parce qu’elle forme un seul corps et