Page:Oeuvres de Saint Bernard, Tome 1, 1870.djvu/471

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sa naissance, mais encore préservé sa vie pure de tout péché ; ce qu’on ne croit pas avoir été jamais accordé à aucun autre enfant de la femme. Il convenait, en effet, que la Reine des Vierges, par le privilége d’une sainteté singulière, passât toute sa vie sans aucun péché, puisque, mettant au monde le destructeur du péché et de la mort, elle obtenait à tous les hommes le don de la vie et de la justice. Sa naissance a donc été sainte, parce qu’elle a été sanctifiée par la sainteté infinie qui devait sortir de son sein.

6. Que pensons-nous qu’il faille encore ajouter à ces honneurs ? Il faut honorer aussi, dit-on, la conception qui a précédé cette naissance glorieuse ; car, si elle ne l’avait précédée, on n’aurait pas à honorer la naissance elle-même. Mais que répondra-t-on, si un autre, pour la même raison, soutient qu’il faut rendre les mêmes honneurs solennels à chacun de ses parents. On pourrait encore les demander par un semblable motif pour ses aïeuls et ses bisaïeuls ; on irait ainsi à l’infini et les fêtes seraient sans nombre. Cette abondance de joies est bonne pour la patrie, non pour l’exil, et cette multiplicité de fêtes convient à des citoyens, non à des bannis. Mais on produit un écrit[1], qui est, dit-on, de révélation supérieure ; comme si chacun ne pouvait pas produire un écrit semblable, où la Vierge semblerait ordonner la même chose pour ses parents, selon le précepte du Seigneur qui dit : Honorez votre père et votre mère[2]. Pour moi, je ne me laisse pas facilement émouvoir ni persuader par de tels écrits, que la raison ne paraît pas approuver et qu’aucune autorité certaine ne confirme. Comment conclure que la conception doive être considérée comme sainte, de ce qu’elle a précédé la naissance qui était sainte elle-même ? Est-ce qu’en la précédant, elle l’a sanctifiée. En la précédant, elle a amené son existence, non sa sainteté ; car d’où lui serait venue à elle-même cette sainteté qu’elle devait transmettre après elle ? N’est-ce pas plutôt parce que la conception a commencé sans la sainteté, qu’il a fallu sanctifier l’enfant conçu, afin qu’il fût saint à sa naissance ? Mais peut-être la conception aurait-elle emprunté sa sainteté au fait qui devait suivre ? Sans doute, la sanctification qui a eu lieu après la conception, pouvait passer à la naissance qui était postérieure ; mais elle n’a pu en aucune façon remonter à la conception qui l’avait précédée.

7. D’où viendrait donc la sainteté de la conception ? Dira-t-on que la Vierge a été prévenue par la sanctification, afin qu’elle fût conçue, étant déjà sainte, et qu’ainsi la conception elle-même fût sainte ; de même qu’on dit qu’elle a été sanctifiée dans le sein maternel, afin que sa naissance fût sainte ? Mais la Vierge n’a pas pu être sainte avant que d’être ; or, elle n’était pas avant d’être conçue. Est-ce que par hasard la sainteté se serait mêlée à la conception elle-même au milieu des caresses conjugales, de façon que la sanctification et la conception eussent lieu en même temps ? Mais la raison n’admet pas cela. Comment, en effet, la sainteté eût-elle été possible sans l’Esprit qui sanctifie ? Ou, comment le Saint-Esprit s’est-il trouvé mêlé au péché ? Ou enfin comment le péché ne s’est-il pas trouvé là où la concupiscence n’a pas fait défaut ? Dira-t-on par hasard qu’elle a été conçue du Saint-Esprit, et non pas d’un homme ; mais on n’a encore entendu dire rien de semblable. Je lis, en effet, que le Saint-Esprit est venu en elle, et non qu’il est venu avec elle, selon la parole de l’Ange : Le Saint-Esprit surviendra en vous[3]. S’il est permis de dire ce que pense l’Église, qui pense toujours la vérité, je dis que la Vierge a la gloire d’avoir conçu du Saint-Esprit, mais qu’elle n’en a pas été conçue. Elle a enfanté vierge, elle n’a point été enfantée par une vierge. Autrement, où serait cette prérogative de la Mère du Seigneur, en vertu de laquelle on croit pouvoir la glorifier seule et d’avoir été mère et d’être restée vierge, si vous accordez le même privilége à sa mère ? Ce n’est point là honorer la Vierge, mais c’est amoindrir sa gloire. Si donc elle n’a pu en aucune façon être sanctifiée avant sa conception, parce qu’elle n’était pas encore, ni pendant sa conception elle-même, à cause du péché qui y était attaché, il reste à croire qu’elle a été sanctifiée après avoir été conçue, quand elle était déjà dans le sein de sa mère, et que cette sanctification, bannissant le péché, a sanctifié sa naissance, mais non sa conception.

8. C’est pourquoi, bien qu’il ait été accordé à un nombre, très-petit d’ailleurs, d’enfants des hommes de naître sanctifiés, il ne leur a cependant point été donné d’être conçus de la même façon, afin sans doute que la prérogative d’une sainte conception fût réservée à Celui-là seul qui devait sanctifier tous les autres, et qui seul, venant en ce monde en dehors du péché, devait purifier les pécheurs. Ainsi le Seigneur Jésus a été seul conçu du Saint-Esprit, parce

  1. Cet écrit est attribué à Elsin, abbé d’Angleterre. (Voyez sanct. Anselm., oper. pag. 507.)
  2. Exode, xx, 12.
  3. Luc., i, 35.