Page:Oeuvres de Saint Bernard, Tome 3, 1870.djvu/392

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de l’enfance. Entourons-le de notre vénération quand pour nous aussi il est sanglant, pâle et couché au tombeau. Nous l’adorons avec les mages, nous embrassons avec Siméon l’enfance du Sauveur, recevant votre miséricorde au milieu de votre temple, car c’est de lui que nous lisons : La miséricorde du Seigneur est éternelle[1]. Et qui donc est coéternel au Père, sinon le Fils et le Saint-Esprit ? Tous les deux sont plutôt la miséricorde même que miséricordieux. Néanmoins le Père est aussi miséricorde. Et tous les trois ne sont qu’une miséricorde, comme ils n’ont qu’une essence, une sagesse, une divinité, une majesté. Mais dans ce nom de Père des miséricordes donné ici à Dieu, qui ne voit le Fils désigné par son propre nom ? Oui il est bien le Père des miséricordes lui qui ne sait que pardonner et épargner.

3. Mais on me dira peut-être : Comment est-ce sa fonction propre de pardonner, si ses jugements sont de profonds abîmes[2] ? On ne dit pas, en effet, toutes ses voies sont miséricorde seulement, mais miséricorde et vérité[3]. Il est aussi juste que miséricordieux, lui, dont on célèbre à la fois la bonté et le jugement[4] ; il fait miséricorde à qui il veut, et il endurcit qui il veut[5] Mais la miséricorde est son attribut propre, car c’est en lui-même qu’il puise la matière et comme la semence de cette miséricorde. S’il juge, s’il condamne, nous l’y contraignons en quelque sorte, et encore la correction qui sort de son cœur, est-elle une miséricorde. Entendez-le dire lui-même : Est-ce que je veux la mort de l’impie, dit le Seigneur, et non sa conversion et sa vie[6] ? C’est donc avec raison qu’il est appelé, non le Père des justices et des vengeances, mais le Père des miséricordes ; ce n’est pas seulement parce qu’un père préfère l’indulgence à la colère, et prend en pitié les fils qui le craignent, c’est surtout parce que Dieu puise en lui-même, en son fonds, le principe et la raison de sa miséricorde, tandis que c’est nous qui fournissons à sa justice et à sa vengeance l’occasion de se déployer.

4. Mais si ces raisons justifient le titre de Père de la miséricorde, pourquoi ce mot, Père des miséricordes ? Dieu a parlé, dit le Prophète, et j’ai entendu ces deux choses : Le pouvoir appartient à Dieu, et à vous, Seigneur, la miséricorde[7]. Du reste l’apôtre, dans un seul Verbe et un seul Fils, nous montre une double miséricorde, en disant le Père non de la miséricorde, mais des miséricordes, et en appelant Dieu le Dieu, non d’une, mais de toute consolation, qui nous console non-seulement dans cette tribulation ou dans cette autre, mais dans toutes nos tribulations. Les miséricordes du Seigneur sont nombreuses, a-t-on dit[8], sans doute parce que nombreuses sont aussi les épreuves des justes, et que le Seigneur les en délivrera. Il n’y a qu’un Fils de Dieu, un Verbe ; mais notre misère est multiple, et appelle non-seulement une grande miséricorde, mais la multitude des miséricordes. Peut-être aussi comme l’homme est un composé de deux substances, toutes les deux si riches en misères, a-t-on raison de reconnaître en lui une double misère, encore que chacune en ait d’infinies. Les tribulations de notre corps et de notre cœur sont en effet innombrables ; mais celui qui a sauvé l’homme tout entier nous en affranchit, comme il est le Fils de Dieu, un Fils un et unique, qu’il est déjà venu, pour nos âmes, ôter les péchés du monde, et qu’il doit revenir pour ressusciter nos corps, et les rendre conformes à son corps glorieux, peut-être en l’appelant le Père des miséricordes, confessons-nous cette double miséricorde. Car, en prenant un corps humain et une âme humaine, le Seigneur votre Dieu ne dit pas seulement une fois consolez-vous, mais comme nous l’avons rappelé plus haut, consolez-vous, consolez-vous, afin de nous donner la certitude qu’il sauvera ces deux parties de notre être, lui qui a daigné se les unir toutes les deux.

5. Mais en qui le Sauveur opèrera-t-il cette œuvre de miséricorde ? En son peuple[8]. Il sauvera aujourd’hui du péché, non pas tous les hommes, mais son peuple[9], et plus tard, il rendra glorieux comme le sien, non tous les corps, mais le corps humilié[10]. Le peuple qu’il console, c’est le peuple humble qu’il sauvera, puisqu’il abaissera les yeux de l’orgueil. Et voulez-vous connaître son peuple ? Le pauvre vous a été laissé[11], dit l’homme selon le cœur de Dieu. Et lui-même dit, dans l’Évangile : Malheur à vous, riches qui avez votre consolation[12] ! Plût au ciel, frères bien-aimés, que nous souhaitions d’être rangés parmi ce peuple que Dieu console, et non dans celui à qui il dit : Malheur ! Pourquoi consolerait-il ceux qui ont déjà leurs consolations ? Le silence du Christ ne console pas les bavards, ni ses larmes les rieurs de profession, ni ses langes ceux qui marchent vêtus d’amples habits. Sa crèche, son étable ne consolent pas ceux qui aiment les premières places dans

  1. Ps. cxii, 17.
  2. Ibid. xxxv, 7.
  3. Ibid, xxiv, 16}}.
  4. Ibid, c, 1.
  5. Rom, ix, 18.
  6. Ézéch. xviii, 23.
  7. Ps. lxi, 12, 13.
  8. a et b Thren., iii, 32.
  9. Math., 21.
  10. Philipp. iii, 21.
  11. Ps. iv, 14.
  12. Luc, vi, 24.