Page:Oeuvres de Walter Scott,Tome I, trad Defauconpret, 1830.djvu/253

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perdue de vue, il se résigne ; et, bravant avec patience les frimas de la nuit, il guide à pas lents son troupeau paresseux. Si son cœur se décourage, si ses membres faiblissent, le froid lui donne la mort : il s’égare, et vient tomber sur le sciait de sa demeure. Le matin luira sur sort cadavre glacé et sans vie ; sa veuve entendra, au retour de la pâle aurore, ses enfans orphelins redemander leur père, et trouvera le chien fidèle qui, partageant leur douleur, s’est couché au milieu de la neige sur le sein de son maître, et lèche son visage pour le réveiller.

Qui envie dans cette saison le sort du berger, sa santé robuste, sa paisible chaumière, sa couche de gazon sur la colline, ses chants joyeux sous l’ombrage, adressés aux beaux yeux de sa fraîche Marion sa houlette, sa gourde, son chalumeau et tous les attributs de l’Arcadie ?

Hélas ! cher Skene, notre vie n’est-elle pas également soumise à ces vicissitudes ? Nous voyons souvent notre printemps embelli par les jeux et la gaieté, tandis que l’orage nous prépare ses fureurs pour l’hiver de nos jours. Tel le vieux monarque de Troie avait passé l’été de sa vie dans la paix et la gloire ; mais les feux des Grecs et les alarmes de la guerre affligèrent ses cheveux blancs. Heureux donc, puisque chacun doit avoir sa part de plaisir et de peine, heureux les protégés du ciel, dont la coupe contient le mélange des deux liqueurs ; heureux ceux qui trouvent des consolations dans leurs chagrins, et à qui quelques revers apprennent le prix de la modération dans le bonheur. Telle fut ta destinée, mon ami ; tu te vis condamné à mêler le cyprès à la couronne de myrte, lorsqu’à peine tu venais de former les doux nœuds de l’hymen. Le père de ta fiancée avait souri à l’époux choisi par sa fille ; l’amour fut forcé de prendre des habits de deuil et d’essuyer les larmes de la piété filiale. Hélas ! il avait été aussi bon ami que bon père 1. A peine Forbes, objet de nos regrets, venait de payer son tribut à l’ombre de sen ménestrel ; à peine venait-il de terminer l’histoire de son ami, que le cœur de l’historien lui-même fut glacé par la mort. Où trouverons-nous un cœur aussi noble et aussi bienfaisant ? Ses amis et sa famille ne seront pas les seuls à pleurer sur son urne

(1) Voyez la note sur William Forbes de Pistligo, auteur de la vie Reattie. — Ed.