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Page:Oeuvres de Walter Scott,Tome II, trad Defauconpret, 1831.djvu/216

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xxiv.

Bientôt ce jeu se change en véritable combat, les lances font couler le sang, les épées font jaillir des flammes ; cavaliers et coursiers roulent sur la poussière… pour ne plus se relever. L’appareil brillant du tournoi n’existe plus ; les boucliers sont brisés, les heaumes bossués, les cottes de mailles déchirées, et les panonceaux teints de sang. Le désordre a détruit la symétrie qui flattait l’œil ; la force et le désespoir s’ouvrent un passage par des blessures mortelles : on ne mesure plus ses coups, et les clairons font entendre des sons semblables aux cris lugubres de l’oiseau de mer qui chante au-dessus de l’abîme l’hymne de mort du nauvragé.

xxv.

On eût dit, dans cette journée fatale, que le destin voulait anticiper sur la ruine de Camlan, et épargner un crime au sombre Mordred. Déjà vingt chevaliers de la table ronde, l’élite de la chevalerie, étaient gisans sur le sable.

Dans sa douleur, Arthur arrache sa barbe blanche et ses cheveux : l’orgueilleuse Gyneth elle-même éprouve une horreur involontaire et frémit de crainte et de pitié ; mais il lui semblait que l’ombre de sa mère, planant sur le tumulte, lui défendait de faire cesser le carnage, et lui reprochait les larmes qu’elle se sentait près de verser.

Alors périrent Brunor, Taulas, Mador, Helias-le-Blanc, Lionel, et maint brave champion. Rochemont, Dinadam, Ferrand de la Forêt-Noire, sont étendus expirans dans la poussière ; Vanoc, poursuivi jusqu’aux gradins de l’amphithéâtre par le terrible Morolt ; le jeune Vanoc, dont un léger duvet protégeait à peine le menton ; Vanoc, fils de Merlin, et cher à la gloire, va tomber presque aux-pieds de Gyneth, dont les sandales furent rougies de son sang. Mais soudain le ciel se couvre, un vent d’orage mugit, la terre tremble et s’entr’ouvre, et de son sein on voit sortir le terrible magicien Merlin.