Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/102

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famille, et tout plein d’une satisfaction tranquille, que, depuis bien des mois, il n’avait pas éprouvée.

Il se coucha de bonne heure, en remerciant ses hôtes, se leva tard le lendemain, déjeuna, visita les dépendances de l’habitation, fit connaissance avec le beau-frère d’Agostino, qui était grand chasseur, avec sa soeur qui était bonne ménagère, joua avec la petite Marietta, qui depuis la veille l’observait avec ses yeux noirs et pénétrants, lui souriant de ses dents blanches, mais l’approchant avec une sauvage timidité.

Le soir vint avec une rapidité étonnante, sans qu’il eût rien fait que se laisser vivre. Retiré dans sa chambre, avant de s’endormir, étendu sur une fraîche paillasse de maïs, il se moqua de lui-même :

— Je mène ici la vie admirable des pasteurs, et je vais me refaire un coeur et un cerveau. Que diraient mes camarades et mes amis, s’ils me voyaient en proie à cette idylle ? Hé ! ils diraient que la Madone, à qui tous ceux qui m’entourent ici, croient si fermement, m’a visiblement protégé. Pierre Laurier, tu étais sur une mauvaise route, mon garçon. Par un miracle t’en voilà tiré. Profite de la faveur que la Providence t’a accordée, jouis du temps qui t’appartient et mets-le à profit, en travaillant librement, ce que tu as eu, jusqu’ici, rarement l’occasion de faire. Tu es mieux traité que tu ne le méritais… Sois reconnaissant.

Il s’endormit, au milieu de ces sages pensées, et rêva qu’il peignait un tableau symbolique, dans lequel le mauvais ange avait les traits charmants et pervers de Clémence Villa, et le bon ange, le pur visage de Mlle de Vignes. Ensuite, sur la toile, apparaissait et se fixait l’image de Jacques, avec ses blonds cheveux et ses yeux mélancoliques. Clémence s’approchait du jeune malade et lui parlait tout bas avec animation, l’enlaçait peu à peu, s’emparant de lui, et le malade