Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/103

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pâlissait, ses yeux devenaient plus profonds et plus sombres, ses lèvres plus blêmes. Alors les regards du peintre, se détournant vers Juliette, la voyaient triste mortellement, les mains jointes dans l’attitude de la prière, et ce n’était pas que pour son frère qu’elle priait. Un autre nom venait aussi sur ses lèvres, et Pierre devinait que c’était le sien. Il voulait alors s’élancer vers elle, la rassurer, la consoler, mais le bras de Jacques se tendait comme un obstacle et de sa bouche tombaient ces paroles :

— Tu m’as donné ton âme, tu ne t’appartiens plus. Tu n’as pas le droit de reparaître.

Alors Pierre s’arrêtait, et peu à peu le tableau s’effaçait, et il ne distinguait plus bientôt que la petite Marietta avec ses cheveux noirs et son front sauvage, qui, dans le pâtis ombragé de vieux châtaigniers, gardait ses chèvres. La nuit s’écoula dans ces agitations. Mais au réveil Pierre retrouva son calme et partit pour la chasse, avec Agostino et son beau-frère dans les marais de Biguglia. Le temps passa ainsi, et, au bout de la semaine, le matelot annonça qu’il lui fallait retourner à bord. Il s’en allait pour trois semaines et comptait bien, au retour, retrouver son sauveur.

Déjà Pierre était, dans la famille d’Agostino, comme chez lui. Ces humbles paysans lui témoignaient une affection qu’il n’avait pas souvent rencontrée aussi sincère. Il n’avait qu’à moitié envie de partir, il se laissa donc faire violence et resta. Il commençait le portrait de la petite gardeuse de chèvres, et, dans ce calme, au milieu de cette splendide nature, toute la fraîcheur de son inspiration reconquise s’était épanouie avec une grâce et une puissance nouvelles. Il travaillait tous les jours, jusqu’à quatre heures, et, le soir, il faisait la partie du beau-frère qui venait, après dîner, avec sa femme.