Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/104

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Le maire de Torrevecchio, bonapartiste enragé, ayant appris qu’un peintre était de passage dans le pays, avait risqué, avec son curé, une démarche auprès de Pierre pour obtenir qu’il restaurât les peintures de l’église, très curieuses, datant de l’occupation génoise, et dues au pinceau de quelque maître italien. Laurier avait accepté la tâche, et, non content de retoucher les parties endommagées des peintures murales de la petite église, il avait entrepris la décoration de la chapelle de la Vierge, nouvellement reconstruite.

Absorbé par ses travaux, chassant, péchant, n’ayant pas une minute à perdre, il était rentré si complètement en possession de lui-même, qu’il ne pensait plus jamais au passé. On l’aurait fait rougir de honte, en lui racontant que, par une nuit tiède, lorsque la brise sentait bon, et que la mer murmurante et les splendeurs des cieux attestaient l’harmonie universelle, un certain Pierre Laurier avait voulu attenter à sa vie pour les yeux diaboliques d’une femme qui le martyrisait. Il eût levé les épaules, allumé sa pipe, et juré qu’il n’y avait au monde qu’une seule chose qui valût un effort, c’était l’espérance d’arriver à mettre en valeur une figure dans la clarté du plein air. Et il clignait de l’oeil, en regardant, par-dessus sa palette, la petite Marietta qui, assise sur une bille de châtaignier, dans l’enclos, les pieds sur l’herbe verte, posait fière, son chien couche auprès D’elle.

Agostino revint d’une course faite à Livourne, et resta encore quelques jours, puis il repartit. Pierre semblait acclimaté et ne parlait plus de quitter le pays. Il avait acheté, à Bastia, des meubles qui manquaient dans la maison, et dont l’arrivée avait éveillé l’ardente admiration des gens du hameau. On se rendait bien compte de la différence de