Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/115

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de journée, au milieu de cette nature grandiose, sereine et calme, il resta à songer en face de la mer.

Sa pensée peu à peu s’épura, et lui, qui depuis son enfance n’avait pas prié, se voyant si seul, si triste et si abandonné, il leva ses regards vers le ciel. Il ne demanda rien pour lui-même. Quel que fût son sort, si dur et si misérable qu’il pût être, il l’acceptait. Mais cette enfant douce et chaste n’était-elle pas innocente et ne méritait-elle pas d’être épargnée ? Il implora, pour elle, l’apaisement et sollicita l’espérance. Puisqu’il avait ce bonheur d’être aimé d’elle, au moins qu’elle eût la force d’attendre que son coeur, à lui, fût lavé de ses souillures. La justice céleste pouvait-elle lui refuser cette grâce ? Dans la solitude il se laissa entraîner à prononcer tout haut de suppliantes paroles.

Tout à coup son attention fut ardemment sollicitée par un fait qui, en un instant, symbolisa ses craintes et ses désirs.

D’un promontoire de rochers, qui s’avançait dans la mer, à ses pieds, une tourterelle venait de s’envoler, effrayée, et, la poursuivant, un aigle fauve planait dans le ciel. Elle fuyait de toute sa vitesse, mais le pillard gagnait sur elle, lançant, à chaque battement de ses ailes puissantes, un cri aigu. Pierre frappé se dit : C’est un présage. Si l’oiseau de proie l’emporte, c’est que tout est perdu pour Juliette et pour moi. Si la tourterelle s’échappe, c’est que je dois espérer, me fortifier, pour reparaître enfin digne du bonheur.

À partir de l’instant où il eut formulé aussi nettement le problème de sa destinée, il ne respira plus, suivant la lutte d’un oeil ardent. L’aigle s’était abaissé, il volait, maintenant, presque au-dessus de la tourterelle, la dominant de son bec tranchant et de ses serres livides. Épouvanté, le pauvre oiseau se dirigeait vers un petit bois de chênes verts, espérant