Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/136

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à flots, il ressentait un bien-être exquis. Cette position allongée, qui lui paraissait si pénible, quand il était secoué par les affreuses quintes de toux, qui le laissaient en sueur, abattu et brisé, il s’y prélassait délicieusement, la tête libre, le sang apaisé, la respiration régulière. Il venait de veiller, de souper, de se dépenser dans une de ces fêtes qui lui coûtaient, autrefois, une semaine d’accablement et de maladie, et il se trouvait souple et dispos. Il eut un mouvement de satisfaction profonde. C’était décidément la guérison, tant promise par les médecins, et dont il avait cependant si cruellement douté.

Il resta là, à jouir de la vie, puis d’un bond, sautant hors de son lit, il commença à s’habiller. Il allait par la chambre, fredonnant, joyeux et sans souci. Il ouvrit sa fenêtre et l’air tiède vint le caresser. Une odeur de clématite montait pénétrante ; il s’approcha et, comme lui, au début de la saison, marchant lentement sur la terrasse, il aperçut sa soeur.

Elle penchait sa tête triste, et semblait, avec sa robe foncée, être en deuil d’elle-même, de sa santé, de sa jeunesse et de sa gaieté. Le contraste était si frappant que Jacques étouffa un soupir. Le mal s’était détourné de lui, mais, comme s’il lui eût fallu une victime, il s’était abattu sur la pauvre Juliette. Et, à mesure qu’il se redressait alerte et vigoureux, elle se courbait pâle et affaiblie. La maladie dont elle souffrait était indéterminée. Depuis le jour où le docteur Davidoff était venu apporter la fatale nouvelle de la mort de Pierre, l’état de l’enfant avait été sans cesse en s’aggravant. Une langueur profonde s’était emparée d’elle, et, silencieuse, cherchant la solitude, elle paraissait heureuse de cette souffrance qui la conduisait si rapidement vers la fin de sa vie. Elle n’aimait, point qu’on lui parlât de sa