Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/163

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possédé de sa passion. Mais elle, décidément, elle avait usé son caprice. Ce fut, à cette minute même, que l’arrêt de Jacques fut prononcé. Pendant qu’il serrait contre sa poitrine le corps charmant de Clémence, celle-ci se disait :

— Ni, ni, c’est fini, de celui-ci comme des autres. Il m’adore et je suis fatiguée de lui. Ne trouverai-je donc jamais l’homme qui ne m’aimera pas, et que j’aimerai toujours ?

Elle se leva du canapé, sur lequel elle était assise auprès de Jacques, et, s’accoudant à la cheminée d’un air pensif :

— Tu tiens à ton programme ? Soit !… Je l’adopte. Loue la maison que tu voudras, pourvu qu’elle soit grande, bien située, et qu’il y ait de bonnes écuries pour les chevaux, car j’emmènerai tout mon monde. Mais, tu sais, Nuño viendra me voir là, aussi librement qu’autre part. Car je n’ai pas l’intention de rompre avec mes amis, ni de me laisser séquestrer.

— Cette idée m’est-elle jamais venue ? protesta Jacques. N’ai-je pas confiance en toi ?

Clémence le regarda et le trouva décidément ridicule. Un fugitif sourire passa sur ses lèvres, et elle resta un instant silencieuse, puis lentement :

— Tu as bien raison d’avoir confiance, dit-elle ; si tu te défiais, ce serait exactement la même chose !

La soirée était belle et chaude, ils sortirent et s’en furent dîner aux Ambassadeurs. À onze heures, Clémence, assez maussade et se disant souffrante, mit Jacques à la porte. Agacé il descendit au cercle, et, comme la partie de baccara s’engageait, il prit la banque et commença à tailler. Fait bizarre : heureux au jeu, tant qu’il avait été aimé, l’heure précise, à laquelle sa maîtresse venait de constater