Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/162

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mais l’opposition que lui faisait le jeune homme avait des bases déjà anciennes et solides. Il l’écoutait, en hochant la tête, d’un air fort peu convaincu :

— Il ne me plaît point d’aller chez M. Nuño. Quoiqu’il n’habite pas la villa, tu n’en serais pas moins chez lui. Alors, de quoi aurais-je l’air ? Rien n’est plus facile que de louer une autre maison, et de n’avoir aucune obligation à qui que ce soit ? Si tu acceptes ma proposition, nous pourrons recommencer la douce existence de Monte-Carlo ; nous serons, de nouveau, au bord de la mer, dans une charmante solitude, et tu auras le loisir d’être toute à moi… Ici, je suis forcé de te disputer à tes occupations, à tes amitiés, et tu m’échappes presque complètement. Là-bas, je te posséderais entière et nul ne pourrait plus t’enlever à moi. Il parlait avec ardeur, et Clémence l’écoutait curieusement. Sa voix, naguère si douce à ses oreilles, à présent lui semblait indifférente et banale. Ses mains, qui serraient les siennes, ne brûlaient plus sa chair. Il lui paraissait un joli garçon blond, très exigeant, et qui commençait à l’importuner. À ses pressantes insistances, elle répondit par un sourire que Jacques accueillit comme le présage de sa victoire. Il se rapprocha de la jeune femme et la prit dans ses bras. Elle n’opposa point de résistance. Elle était attentive à analyser ses sensations. L’étreinte la laissa froide et calme. Rien de la flamme passée ne vint l’échauffer, il lui sembla que le foyer était décidément éteint et que rien ne pourrait le rallumer. À peine quatre mois d’amour, et c’était fini.

Elle pensa à cette soirée du veglione où, dans la loge, ils avaient échangé leurs premières paroles de tendresse. Comme elle était émue et frémissante ! Et, maintenant, comme elle se sentait lasse et indifférente ! Lui, il était toujours