Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bord. Patrizzi et moi nous sommes venus au casino, où je savais vous rencontrer…

— Ah ! on vous avait dit ?…

— Que vous êtes ici, depuis trois semaines, avec Clémence Villa, que vous jouez beaucoup, mais avec une guigne féroce, et que vous vous portez bien. Voilà ce qu’on m’a dit.

Jacques fronça le sourcil.

— On ne vous a pas trompé, dit-il froidement.

— Est-ce donc là l’usage que vous deviez faire de la santé retrouvée ? demanda, avec douceur, le médecin. Oh ! je ne veux pas me poser en moraliste ni en donneur de leçons !… Vous savez que j’ai de l’amitié pour vous, c’est pourquoi je vous tiens ce langage. Clémence Villa ! Voilà auprès de quelle femme je vous retrouve ! Et c’est pour elle que vous jouez avec cette ardeur furieuse. Voyons, mon cher ami, êtes-vous sûr d’être dans votre bon sens ?…

— Je suis sûr d’être fou d’elle ! dit Jacques d’une voix étouffée. Mais je ne suis pas sûr qu’il dépende de moi qu’il en soit autrement !… L’amour qu’elle m’a inspiré est si intimement lié à mon retour à la vie, qu’il me semble qu’il en est le principe même. Et puis, si je ne me plongeais pas dans cette passion, qui annihile ma pensée et absorbe tout mon être, que deviendrais-je ? J’ai peur de le savoir et je ne veux pas le chercher.

Il fixa sur le docteur des yeux troublés :

— Il ne faut pas que je réfléchisse, voyez-vous, car j’arriverais facilement à la conviction que mon existence est une monstruosité périlleuse pour les autres et pour moi-même… Non ! non ! il ne faut pas que je réfléchisse ! Et l’existence que je mène, et que vous me reprochez, est la seule qui me soit favorable.