Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/171

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Ils s’étaient arrêtés au bord de la mer, dont la surface calme, éclairée par la lune, brillait comme de l’argent. Jacques resta un moment silencieux, puis brusquement, comme s’il se débarrassait d’un poids qui l’étouffait :

— Et Pierre Laurier ?

— Pierre Laurier n’avait plus sa raison, répondit Davidoff d’une voix grave, et vous savez bien qui la lui avait fait perdre. Jacques, je voudrais vous rendre à vous-même, vous montrer l’horreur de l’existence que vous menez, vous révéler l’infamie de celle à qui vous sacrifiez tout.

— Taisez-vous ! cria Jacques avec violence. Je ne supporterai pas que, devant moi, vous parliez d’elle ainsi.

— Le soir où Pierre Laurier a disparu, poursuivit le docteur russe, ce n’était pas moi qui me répandais en outrages à l’adresse de Clémence. C’était lui. Il la maudissait. Et cependant une force invincible le conduisait chez elle, et cent fois déjà il avait proféré les mêmes insultes, pour aboutir à la même lâcheté. Il le savait, il en grinçait des dents et il demandait au ciel le courage d’étrangler ce monstre et de se tuer après. Le monstre a vaincu, une fois de plus, celui qui voulait le dompter, et maintenant c’est vous qui êtes sa proie, et ce seront d’autres après vous, si ce n’est en même temps que vous !…

— Davidoff !

Le Russe saisit fortement le bras de Jacques :

— Auriez-vous des illusions sur la fidélité de la belle ? Laurier n’en avait pas, lui. Et il retournait tout de même à elle. Il l’aimait plus passionnément que vous, car vous n’avez pas subi l’épreuve de la trahison… Vous ne pouvez pas savoir jusqu’à quelle bassesse vous entraînera Clémence… L’avez-vous surprise avec un autre amant ? Pas encore ? Bien ! Cela ne peut manquer d’arriver, et, après avoir rugi de colère, menacé