Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/172

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de tout massacrer, vous sangloterez comme un enfant aux pieds de la criminelle, en demandant grâce pour votre plaisir ! Oui, vous le ferez ! Tous ont joué cette abjecte comédie devant elle, tous la joueront. C’est pour cela qu’elle méprise les hommes, les prend à sa fantaisie, et les rejette quand ils ont cessé de lui plaire. Essayez de l’attendrir, vous verrez avec quelle férocité froide elle se repaîtra de vos lamentations, de vos prières. Elle vous rira au nez, elle vous insultera, elle vous racontera ses nouvelles amours, en vous nommant l’heureux maître de son coeur. Et vous voudrez mourir !… Allons, Jacques, un instant de raison, une minute de clairvoyance. Ce que j’ai dit à Pierre, dans cette nuit fatale, je vous le dis, à vous, au bord des flots, comme nous étions, sous te ciel clair et étoilé, par une nuit semblable… Il me répondit que tout était inutile, qu’il n’avait pas la force de suivre mon conseil… Il m’a quitté et nous ne l’avons plus revu… Lui, au moins, il était seul au monde. Vous, vous avez une mère, une soeur. Pensez à elles. Voulez-vous qu’elles aient à vous pleurer ?

— Elles me pleurent déjà, Davidoff, dit Jacques avec angoisse. Je leur cause bien des tourments, bien des soucis, bien des inquiétudes. Les pauvres innocentes, elles sont très malheureuses, et par ma faute. Oh ! je sais que je suis coupable, et d’autant plus qu’elles sont douces et résignées. Vous n’avez pas revu ma soeur depuis votre départ. Vous serez effrayé, en la retrouvant si faible et si triste. Les médecins ont tous cherché la cause de son mal. Aucun ne l’a pénétrée. Mais ma mère et moi nous la connaissons. Vous aussi vous avez dû la deviner… La blessure, dont elle souffre et dont elle mourra, est au coeur. Elle aimait Pierre Laurier et ne peut se consoler de sa perte. Elle me l’a avoué, là-bas, avant de partir… Et moi, misérable, je n’ai accueilli son aveu