Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/195

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et lut l’appel impérieux que lui adressait son ami. Il pâlit, son coeur se serra et ses yeux se creusèrent profonds sous ses sourcils froncés.

— Un malheur ? demanda Agostino.

— Non, dit le peintre. Du moins, je l’espère. Mais il faut que je parte à l’instant pour le continent.

— Partir ! En ce moment ! s’écria douloureusement le marié…. Nous quitter avant la fin de cette journée !… Attendez au moins à demain ?…

— Si on t’avait dit, pendant que tu étais de l’autre côté de la mer, que ta fiancée souffrait et pouvait mourir de ton absence, répondit gravement Pierre, aurais-tu différé ton départ ?

Agostino serra vivement la main de son sauveur, et, des larmes plein les yeux :

— Non, vous avez raison. Mais vous devez comprendre quel chagrin vous me faites.

Pierre emmena le jeune homme à l’écart, et là, lui parlant avec une émotion soudaine, qui ouvrit à Agostino un jour décisif sur le caractère et la condition de son ami :

— Il s’agit de ne pas attrister ta femme, tes parents et tes invités. D’ici à Torrevecchio, par la route, il y a quatre lieues. Je vais prendre une carriole à l’auberge. J’irai seul. Une fois que je serai de l’autre côté de la montagne, tu expliqueras mon absence et tu remercieras chacun de ceux qui sont ici de l’accueil cordial qui m’a été fait. Je n’oublierai jamais, vois-tu, le temps que j’ai passé dans ce pays, au milieu de vous. J’étais bien malade, du cerveau et du coeur…. Vous m’avez guéri par votre saine et sage tranquillité…. J’ai oublié les chagrins dont j’avais cru mourir…. Et c’est à vous que je le dois : à ta mère, qui a été si bonne pour moi ; à ta petite soeur, qui m’a si souvent rappelé, par sa