Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/205

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ses yeux et assourdissait ses oreilles. Il faisait des efforts pour écouter et comprendre Davidoff. Il se sentait las de corps, et surexcité d’esprit. Il dit :

— Ce voyage m’a brisé, et cependant il me semble que je ne pourrais pas me reposer.

— Vous vivez, depuis trois jours, sur vos nerfs… Je vais remettre votre organisme en ordre… Fiez-vous à moi… Si je n’avais jamais de malades plus difficiles à guérir que vous…

La voiture entrait dans la cour du Grand-Hôtel. Ils descendirent, et, suivis d’un garçon qui portait la valise de Laurier, ils montèrent à l’appartement de Davidoff. Un salon séparait la chambre de Laurier de celle du Russe. Restés en tête à tête, ils se regardèrent un instant, en silence, puis le docteur montrant un siège à son ami :

— Asseyez-vous, nous allons dîner ici, en bavardant, et si vous êtes raisonnable, peut-être ferai-je quelque chose pour vous, dès ce soir.

Les yeux de Pierre s’illuminèrent :

— Quoi ! dit-il, je pourrais la voir ?… Davidoff se mit à rire :

— Au moins, avec vous il n’y a pas d’équivoque ! La voir !… Il ne peut donc, entre nous, être question que d’elle ? Eh bien ! vous avez raison. Et c’est d’elle qu’il s’agit. Je suis, depuis le commencement de la semaine, ici et l’habitue doucement au prodige de votre résurrection. Il y a de longs mois qu’elle vous pleure, dans le mystère de son âme… Dès les premiers mots prononcés par moi, et émettant l’ombre d’un doute sur la certitude de votre mort, elle s’est ranimée, mais de façon à nous effrayer sa mère et moi… Une fièvre ardente s’est emparée d’elle… Sa faiblesse est si grande !… Par un phénomène incroyable, votre disparition avait eu cette double conséquence de rendre à Jacques la force de ne pas mourir, et