Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/206

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d’enlever à Juliette le courage de vivre. Elle s’est lentement étiolée, pâtissante, comme une fleur rongée par un ver invisible… Quant à son frère… Mais il vaudrait mieux ne parler que d’elle !…

— Ce que vous avez à m’apprendre, sur le compte de Jacques, est-il donc si pénible ?

— Désolant, moralement et matériellement. Cette semaine, talonné par des besoins d’argent impérieux, il a provoqué la mise en vente des propriétés qui sont communes à sa mère, à sa soeur et à lui… Les observations du notaire, les sollicitations de Mme de Vignes, tout a été inutile ! Il veut réaliser, à n’importe quel prix, ne se préoccupant pas de la perte considérable qui sera la conséquence de cette liquidation précipitée… Il est fou, et d’une dangereuse folie !…

— Mais cette folie, causée par qui ou par quoi ?

— Par l’amour. Une femme a perdu ce malheureux qui n’était que trop disposé aux pires faiblesses.

— Et cette femme si séduisante qu’on ne puisse le détacher d’elle ? Si forte qu’on ne puisse le lui arracher ?

— La plus forte, la plus séduisante, la plus dangereuse de toutes les femmes !… Et si je vous disais qui elle est…

À ces mots, Pierre pâlit, ses yeux s’agrandirent, il ouvrit la bouche pour questionner, pour prononcer un nom, qu’il devinait sur les lèvres du docteur. Il n’en eut pas le temps, Davidoff sourit amèrement et, regardant le peintre jusqu’au fond du coeur :

— Ah ! vous m’avez compris ! dit-il. Oui, c’est dans les mains de Clémence que Jacques est tombé. Il a été aimé par elle, il l’a aimée… comme on l’aime. Elle, au bout de trois mois, est redevenue froide comme un marbre. Lui est plus passionné, plus enflammé que jamais… Et, qu’ai-je besoin devons