Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/228

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sur la table, et son verre de fin cristal, décapité, tomba sur la nappe avec un bruit argentin.

— Un verre cassé ! s’écria Laure d’Évreux, ça porte malheur !

— Tout cela est vraiment absurde, Jacques ! s’écria Clémence d’une voix tremblante de colère. Nos amis sont-ils venus ici pour entendre de pareilles extravagances ?…

— Il est gris, ce bon Jacques ! s’écria Sophie Viroflay…. Il n’est encore que midi et demi…. C’est un peu tôt !…

— Non, je ne suis pas gris, s’écria le jeune homme, dont le visage prit une expression terrible. Jamais je n’ai été plus maître de ma raison…. Je vous ai dit que Laurier était devenu fou…. Est-ce que quelqu’un de vous en doute ? Parmi vous tous, qui lui avez vu vivre ses derniers mois d’existence, qui avez assisté à ses tortures, à son agonie morale, en est-il un qui veuille me démentir ? Ah ! vous restez muets…. Clémence elle-même ne dit rien…. C’est qu’elle sait bien que Laurier était fou, et pourquoi il était fou !

Le visage de la comédienne, à cette apostrophe, se marbra de tons jaunes, comme si le fiel remplaçait le sang dans ses veines. Son joli cou se gonfla de fureur, et, d’une voix sifflante, elle s’écria :

— Tu nous le fais regretter ! Que n’est-il à ta place, et que n’es-tu à la sienne !

— Patience ! J’irai bientôt, dit Jacques, avec un effrayant sourire, car la vie infernale qui l’a conduit au suicide, je la mène à mon tour. Je puis juger de ses souffrances puisque je les endure…. Et je comprends qu’il ne les ait pas supportées plus longtemps ! Nous parlions, tout à l’heure, du docteur Davidoff et nous rappelions les histoires fantastiques qu’il nous conta, une belle nuit…. Patrizzi, vous rappelez-vous que Laurier, après les avoir écoutées silencieusement, s’