Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/50

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embrassait Juliette, et pourtant ils restèrent un instant, troublés, en face l’un de l’autre. Était-ce la robe longue et la nouvelle coiffure qui leur causait, à tous deux, cet embarras, ou bien l’évocation inattendue de la jeune fille, soudainement éclose en cette enfant, comme un bouton de rose qui s’ouvre au premier soleil, mais le peintre ne trouva pas le mouvement spontané qui, fraternellement, autrefois le poussait vers Juliette.

Il fallut que Jacques, les regardant un peu étonné, s’écriât :

— Eh bien ! qu’est-ce qui vous prend ? Est-ce que vous ne vous connaissez plus ?

Alors Mlle de Vignes fit un pas, Pierre en fit deux, et ils se trouvèrent dans les bras l’un de l’autre. Le jeune homme pencha son visage vers celui de sa petite amie. Elle se leva un peu sur la pointe des pieds, et, avec une émotion singulière, Laurier la sentit qui tremblait, pâlissante, sous son baiser. Toute la soirée, il resta inquiet, parlant peu, comme obsédé par une secrète préoccupation.

Dès lors, dans ses rapports avec Juliette, il se montra plus circonspect et surveilla beaucoup ses paroles. En même temps, il observa celle que, la semaine précédente, il traitait encore comme une bambine. Et il put constater qu’une rapide transformation s’accomplissait en elle. Sa taille s’était fondue en une flexible rondeur, son teint s’était embelli d’un éclat velouté. Sa démarche, perdant les vivacités du premier âge, devenait plus contenue et plus élégante. La chrysalide indifférente s’était ouverte, et un brillant papillon s’en était envolé, qui attirait l’attention, invinciblement. À la faveur de cette métamorphose, il se produisit, dans l’esprit de Pierre, une agitation contre laquelle il eut de la peine à réagir.

Il rêva tout autre chose que ce qu’il avait souhaité jusqu’