Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/60

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peine eut-il la force de se soulever, quand elles entrèrent dans sa chambre. Du beau Jacques, il ne restait qu’un fantôme. Une consultation de médecins, immédiatement provoquée, ordonna le départ immédiat pour le Midi, et, dès la fin de novembre, dans la villa baignée par la mer bleue, abritée par le bois de pins et de genévriers, au milieu des rochers rouges, la famille de Vignes s’était installée.

Là, Jacques s’était remis. La jeunesse a des ressources puissantes. La chaleur, la lumière, la régularité de l’existence, avaient exercé leur salutaire influence, et si le malade ne s’était pas complètement guéri, au moins avait-il repris assez de force pour qu’il fût permis de ne plus désespérer. Il allait pâle, voûté, chancelant, ébranlé par les accès d’une toux cruelle. Mais il vivait. Et s’il voulait beaucoup se surveiller, il pouvait ainsi vivre longtemps. Ce n’était cependant pas assez pour Jacques d’avoir obtenu ce résultat, et le soulagement apporté à sa maladie ne le satisfaisait point. Avec les forces, les désirs étaient revenus, et l’impossibilité de les contenter lui causait une irritation qui s’épanchait en paroles amères, en violentes récriminations. Sans cesse, dans son esprit aigri, un parallèle se faisait entre ce qu’il avait été et ce qu’il était maintenant. Sa débilité actuelle lui paraissait insupportable comparée à son activité passée, et il ne se servait de ses énergies renaissantes que pour se plaindre et maudire. Aucune résignation, aucune douceur ; une lamentation continuelle, une envie irritée.

L’arrivée de Pierre Laurier avait cependant fait une diversion heureuse à ses ennuis. Il s’était senti plus vaillant et moins découragé, en compagnie de son ami. Tout ce qui le laissait indifférent et lassé avait recommencé à avoir de l’attrait pour lui. Il ne restait plus, tout le jour, étendu sur sa chaise longue, ou enfoncé dans sa guérite d’osier sur la terrasse.