Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/70

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les artistes, avait rêvé d’emmener un peintre qui lui retracerait, en quelques études, les principaux épisodes du voyage….

— Et ton ami n’a pas accepté ?… demanda Juliette avec un sourire contraint.

— Non ! il médite, a-t-il dit, un autre voyage. Mais il veut le faire seul.

Après ces mots, qui offraient un double sens si menaçant, il y eut un silence. Jacques, frappé soudain de la signification sinistre, qui pouvait être donnée à ces paroles, prononcées par lui sans arrière-pensée, restait absorbé, se rappelant les amères déclarations, si souvent répétées par Pierre. Juliette, le coeur serré, observait son frère, devinant la pénible sensation éprouvée par lui et ne pouvant vaincre le saisissement qui venait de s’emparer d’elle. Il semblait qu’ils fussent, l’un et l’autre, sous le coup d’un malheur, dont cette phrase avait été l’effrayant présage. Et ils se taisaient, assaillis par de lugubres impressions. Le roulement d’une voiture sur la route de Beaulieu les arracha à cette douloureuse torpeur. Ils se regardèrent une dernière fois, effrayés de leur parole et de leur tristesse. Puis ils tournèrent les yeux vers la grille de la villa, devant laquelle une voiture venait de s’arrêter.

Le médecin russe, vêtu de noir, le visage grave, en était descendu, et s’avançait vers eux. Jacques se leva, et rassérénant son front, il fit quelques pas du coté de son matinal visiteur :

— Fidèle à votre promesse, mon cher Davidoff, dit-il en serrant la main de son ami. Combien je vous remercie de vous occuper de moi !

Le docteur saluait Mme de Vignes et sa fille. Son visage demeura immobile et glacé. Jacques le regarda avec étonnement et Juliette avec terreur. Pourquoi cette attitude contrainte,