Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/71

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cet abord silencieux ? Que redoutait-il d’être obligé de dire ? Quel événement lui imposait cette morne contenance et cet air sombre ? Le Russe leva les yeux sur Jacques et, avec lenteur, comme pour prolonger une situation qui retardait des explications pénibles :

— Vous vous sentez bien, ce matin ? demanda-t-il. Le sommeil a été bon ? Vous n’avez pas de fièvre ?

Il lui prit le poignet, le garda quelques secondes entre ses doigts :

— Non ! Les forces reviennent. Et on peut vous traiter comme un homme, à présent.

Jacques regarda le docteur, et, d’une voix sourde, il demanda :

— Est-ce qu’il se passe quelque événement assez grave pour pouvoir m’impressionner si vivement ?

Sans parler, Davidoff baissa affirmativement la tête.

— Et vous hésitiez à me le confier ? reprit Jacques.

— Certes ! répondit le Russe.

— Et maintenant ?

— Maintenant, je suis prêt à parler. Il baissa un peu la voix, de façon à n’être pas entendu par la mère et la fille :

— Mais il vaut mieux que j’attende que nous soyons seuls….

Ils marchèrent, tous les quatre, à petits pas dans la direction de la maison. Quand ils furent arrivés sous la verandah qui s’étendait devant les fenêtres du salon, à demi-closes de leurs persiennes à cause du soleil, Mme de Vignes et Juliette s’arrêtèrent. La jeune fille examinait le docteur avec anxiété. Il lui semblait que les paroles obscures qu’il venait de prononcer, avaient un rapport secret avec les idées qui la troublaient au moment où il était arrivé. L’image de Pierre Laurier s’évoqua dans son esprit, et elle était vague et