Page:Ohnet - L’Âme de Pierre, Ollendorff, 1890.djvu/95

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doigt il lui montrait les divers points de la ville : la place Saint-Nicolas, qui domine la mer, le boulevard de la Traverse, quartier riche et populeux, l’hôpital militaire, ancien couvent de Saint-François ; sur les hauteurs, la citadelle, et des ruines d’anciens donjons canonnés et brûlés pendant les guerres contre les Génois. Encadrant cet amphithéâtre de maisons, qui s’étendait de la plage jusqu’à mi-flanc de la montagne, des jardins verdoyants et fleuris, où les orangers et les mimosas répandaient des senteurs exquises. Au-dessus de la ville, la brousse, cette courte et sèche végétation qui couvre les pentes de toutes les montagnes de la Corse et constitue ce qu’on appelle le maquis : genêts, bruyères, genévriers, lentisques, et petits sapins, trouvant sur le rocher juste ce qu’il faut de terre pour leurs racines, et offrant un asile presque impénétrable au gibier et aux bandits. Tout en haut, sur les cimes, les admirables forêts de hêtres, richesse du pays, ravagées par les habitants qui les pillent, détruites par les bergers qui les incendient pour créer des pâturages.

Tout cela, Agostino le racontait à son sauveur, pendant que le canot suivait le môle du Dragon, se dirigeant vers le quai.

Au pied de l’escalier ils descendirent, et Pierre, un peu étourdi, se trouva sur la terre ferme. Il était encore vêtu de son caban, de son pantalon de laine grossière, et chaussé de ses espadrilles. Il avait seulement pris, dans ses anciens habits, déformés par l’eau de mer, son argent et sa montre. À la devanture d’un liquoriste, établi sur le quai, il se regarda dans les vitres de l’étalage, et, avec le bandeau qui lui coupait le front, il se découvrit une vraie figure de brigand. Il saisit Agostino par le bras, et l’arrêta.

— Où vas-tu de ce pas ? demanda-t-il.

— Déjeuner d’abord, dit le jeune garçon, et puis en route pour