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Mais, pour un instant, faisons abstraction de notre éducation ; oublions ce sage axiome de notre droit civil, qui nous enseigne que la mauvaise foi et les mauvaises intentions ne se présument pas[1] et transportons-nous au Tibet, où il en est tout autrement.

Là nous verrons les dames qui nous ont été représentées comme tendres à la tentation du péché et toujours prêtes à s’y livrer, fort dignes au contraire, sans cesse épiées et d’ailleurs en état perpétuel de suspicion. Un coup d’œil échangé avec un homme ; une conversation un peu prolongée avec un homme ; la rencontre fortuite d’un homme et d’une femme en cours de visite ; le fait de badiner avec les agréments des vêtements d’une femme[2] ; chacune de ces circonstances, frivoles à notre avis, constitue, dans l’Inde et les pays adjacents, le crime d’adultère au premier degré, et, pour l’expiation de ce crime, la femme peut subir une punition corporelle et l’homme, d’avance et nécessairement son complice, payer une amende assez forte aux maris offensés.

Justement dans le cas cité, la présomption d’adultère était, suivant le code des Gentoux, qui par Bénarès[3] reflète au Tibet, plus vivement accentuée.

Prendre et porter une femme dans ses bras sans résistance de sa part[4] constitue contre l’homme et la femme le crime d’adultère au troisième degré et le plus grave ; et il est certain que, pour sauver cette femme en danger, son sauveteur a dû la prendre à bras-le-corps et la serrer sans résistance de sa part. Aussi, et dans ces conditions, c’est à bon droit — à bon droit tibétain, j’entends — que les maris de la dame immergée ont pu suspecter l’officier anglais d’intentions adultères et, pour ce fait, lui réclamer une indemnité. Nous avons quelque chose d’analogue dans notre Occident.

  1. C’est l’adage du droit romain : Ubi jus incertum, ibi jus nullum.
  2. Code des Gentoux, chap. xix, sect. 1.
  3. Walter Hamilton, East India Gazetteer, London, 1815, p. 813 A.
  4. Code des Gentoux, loc. cit.