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pittoresque langage du moyen âge, nous dit en parlant du mariage chez les Tibétains :

« Nul homme de celle contrée pour riens du monde ne prendrait à femme une garce (jeune fille) pucelle ; et dient que elles ne vallent riens, se elles ne sont usées et coustumées de gésir (coucher) avec les hommes. Et font en tel manière que quant les cheminans passent, si sont appareilliées, les vielles femmes, avec leurs filles ou leurs parentes, et vont avec ces garces pucelles et les mainnent aus genz estranges, qui par là passent, et les donnent à chascun qui en veult prendre pour faire en leur volonté. Et les hommes en prennent et en font ce qu’il veulent. Et puis les rendent à ces vielles qui leur ont menées, car il ne les laissent pas aler avec la gent. Et en ceste manière treuvent, les cheminans, quant il vont par les voies, à vingt ou à trente tant que il veulent ; c’est quant ils passent par devant un casal ou un chastel, ou une autre habitation. Et quant il hebergent avec cette gent en leur casaus (cases, maisons), si en ont aussi tant comme il veullent, qui les viennent prier. Bien est voir que il convient, que vous donnez à celle avec qui vous aurez geu (couché) un anelet, ou aucune petite chosete, ou aucunes enseignes qu’elle puisse monstrer, quant elle se voudra marier, qu’elle a eu plusieurs hommes. Et ne le font pour autre chose. En telle manière convient à chascune pucelle, pourchacier (se procurer) plus de vingt icex seignaus (de ces bijoux) avant qu’elle se puisse marier, par la voie que je vous ai dit. Celles qui plus ont de seignaus, et qui plus auront monstré qu’elles auront esté le plus touchiées, si sont pour meilleurs tenues. Et plus volontiers l’éspousent, pour ce qu’il dient qu’elle est plus gracieuse. Mais quant elles sont mariées, si les tiennent trop chières, et ont pour trop grand vilonnie se l’un touchast la femme à l’autre ; et se gardent moult de ceste honte tretuit, depuis qu’il se seront mariés avec si faites femmes[1]. »

  1. Le Livre de Marco Polo, par G. Pauthier. Firmin Didot frères et Ce, 1865, 2e partie, chap. cxiv, p. 373.