Page:Opere varie (Manzoni).djvu/301

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caractère au moyen duquel elles auraient été susceptibles d'y être ramenées. Dans Othello, le crime découle naturellement, et comme j’ai son propre poids, de la source impure d'une volonté perverse; ce qui me paaraît aussi poétique que moral. On voudrait exclure de la scène les scélérats subalternes, parce qu'on trouve que la bassesse dans le crime est dégoûtante: soit; mais, ne faudrait-il pas en exclure aussi le crime même? Cependant, puisque le crime a une si grande part dans la tragédie, je ne vois pas quel mal il y a à le représenter accompagné toujours de quelque chose de bas. Il n'arrive guère, heureusement, que les affaires où ne prennent part que de belles âme se terminent par un meurtre; et je crois que cette indication de l'expérience est bonne à consacrer dans les compositions poétiques.

Voilà, Monsieur, les observations que j'avais à vous soumettre sur les nouveaux fondemens que vous voudriez donner à la règle des deux unités. Je n’examinerai point ici les autres objections que l'on fait au système historique: il ne serait pas juste de vous ennuyer par la discussion formelle d’opinions qui ne sont peut-être pas les vôtres. Mais, puisque j'ai déjà perdu l'espoir de faire cette lettre courte, permettez-moi d'y joindre encore quelques réflexions sur la manière dont on pose et dont on traite généralement la question des unités dans le drame. Si ces réflexions étaient fondées, elles pourraient faciliter la solution de la question elle-même.

Plusieurs d’entre ceux qui soutiennent la nécessité de la règle emploient souvent, pour qualifier les deux opinions contraires, des mots qui expriment des idées on ne peut plus graves, mais qui, au fond, n'ajoutent rien à la force de leurs argumens. Ce sont, pour eux, d'un côté, la nature, la belle nature, le goût, le bon sens, la raison, la sagesse, et, peu s'en faut, la probité; de l'autre côté, ce sont l'extravagance, la barbarie, la monstruosité, la licence, et que sais-je encore? Certes, si, de tous ces grands mots, les premiers peuvent s'appliquer au système des deux unités, et les autres au système contraire, le procès est jugé. Il est hors de doute que la sagesse vaut mieux que l'extravagance, et même que celle-ci ne vaut rien du tout; et quand Horace ne l'aurait pas formellement prescrit, tout le monde conviendrait de bonne gràce qu'il ne faut pas loger les dauphins dans les bois. Mais lorsque les adversaires de la règle soutiennent que la tragédie, telle qu'ils l'a conçoivent, n'est pas un bois, et qu'ils n'y transportent pas des dauphins; lorsqu'ils prétendent que c'est pour ne pas blesser la nature et la raison qu'ils récusent la règle, lorsqu'ils veulent prouver que c’est celle-ci qui est bizarre parce-qu'elle est arbitraire; c'est là-dessus qu'il faut les attaquer, et les réfuter, si l’on peut: Au reste, on doit le savoir et en prendre son parti, ceux qui défendent des opinions établies ont l'avantage de parler au nom da grand nombre; ils peuvent, sans témérité, employer le langage le plus affirmatif, le plus-sentencieux, et c'est un avantage auquel il est rare que l'on veuille renoncer. Jugez, d'après cela, Monsieur, si je me félicite d'ávoir trouvé l’occasion de justifier une opinion nouvelle devant un critique qui, au lieu de se prévaloir de la force que le consentement de la majorité et une espèce de prescription peuvent donner à la sienne, ne cherche, au contraire, qu'à l’appuyer sur le raisonnement!

Une autre méthode, à peu près aussi expèditive, aussi usitée et aussi concluant que la précédente, de prouver la nécessité de l’unité de temps et de lieu dans la tragédie, c'est de montrer que, sar certains théâtres où la règle n'est pas admise, on a donné souvent à l’action une étendue excessive; c'est de citer avec un mépris triomphant ces tragédies dans lesquelles un personnage,

" Enfant