Page:Opere varie (Manzoni).djvu/302

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au premier acte, est barbon au dernier. "

Cela est absurde, sans doute: et ceux qui ne veulant pas de la règle font mieux qua de reconnaître simplement cela pour absurde; ils en prouvent l’absurdité par des raisons tirées de leur système. Ce qu’ils contestent, c’est la règle:

Qu’en un lieu, qu’en un jour, etc.

On peut très aisément éviter l’excès signalé dans les vers de Boileau, sans adopter la limite posée par lui. Se fonder sur cet excès pour établir cette limite, c’est faire comme celui qui, après avoir sans peine démontré que l’anarchie est une fort manvaise chose , voudrait en conclure qu’il n’y a rien de mieux, en fait de gouvernement, que le gouvernement de Constantinople.

Enfin, après avoir désapprouvé, à raison ou à tort, tel ou tel exemple donné par quelque poëte qui s’est affranchi de la règle, on s’en prend au système historique, sans examiner si ce qu’un poëte a fait, dans un cas donné, est ou n’est pas une conséquence de son système. Ainsi, par exemple, Shakespeare à souvent mêlé le comique aux événemens le plus sérieux. Un critique moderne, à qui l’on ne pourrait refaser sans injustice beaucoup de sagacité et de profondeur, a prétendu justifier cette pratique de Shakespeare, et en donner de bonnes raisons. Quoique puisées dans une philosophie plus élevée que ne l’est en général celle que l’on a appliquée j’usqu’ici à l’art dramatique, ces raisons ne m’ont jamais persuadé; et je pense, comme un bon et loyal partisan du classique, que le mélange de deux affets contraires détruit l’unité d’impression nécessaire pour produire l’émotion et la sympathie; ou, pour parler plus raisonnablement, il me semble qua ce mélange, tel qu’il a été employé par Shakespeare, a tout-à-fait cet inconvénient. Car, qu’il soit réellement et à jamais impossible de produire une impression harmonique,et agréable par le rapprochement de ces deux moyens, c’est ce que je n’ai ni le courage d’affirmer, ni la docilité de répéter. Il n’y a qu’un genre dans lequel on puisse refaser d’avance tout espoir de succès durable, même au génie, et ce genre c’est le faux: mais interdire au génie d’employer des matériaux qui sont dans la nature, par la raison qu’il ne pourra pas en tirer un bon parti, c’est évidemment pousser la critique au delà de son emploi et de ses forces. Que sait-on? Ne relit-on pas tous les jours des ouvrages dans le genre narratif, il est vrai, mais des ouvrages où ce mélange se retrouve bien souvent , et sans qu’il ait été besoin de le justifier, parce qu’il est tellement fondu dans la vérité entrainante de l’ensemble, que personne ne l’a remarqué pour en faire un sujet de censure? Et le genre dramatique lui-même n’a-t-il pas produit un ouvrage étonnant, dans lequel on trouve des impressions bien autrement diverses et nombrouses, des rapprochemens bien autrement imprévus que ceux qui tiennent à la simple combinaison du tragique et du plaisant? et cet ouvrage, n’a-t-on pas consenti à l’admirer, à la seule condition qu’on ne lui donnerait pas, le nom de tragédie? condition du reste assez douce de la part des critiques, puisqu’elle n’exige que les sacrifice d’un mot, et accorde, sans s’en apercevoir, que l’auteur, en produisant un chef-d’euvre, a de plus inventé un genre. Mais, pour rester plus strictement dans la question, le mélange du plaisant et du serieux pourra-t-il être transporté heureusement dans le genre dramatique d’une manière stable, et dans des ouvrages qui ne soient pas une exception? C’est, encore une fois, ce que je n’ose pas savoir. Quoi qu’il en soit, c’est un point particulier à discuter,