Page:Opere varie (Manzoni).djvu/328

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ne pouvoir faire ici qu'une mention collective et rapide, il se trouve des hommes particulièrement voués aux études philosophiques et accoutumés à porter dans toute discussion les lumières qui résultent d'un grand ensemble de connaissances: il s'y trouve des poëtes dont le talent n'est pas contesté même par ceux qui ne partagent pas encore leurs principes littéraires; des poëtes, dont les uns ont fait valoir ce talent pour populariser leur doctrine poétique, et dont d’autres l'ont dèjà justifiée par d'heureux essais. On a vu d'excellens esprits, prévenus d'abord contre ces doctrines, finir par les adopter. L'erreur est déjà troublée dans sa possession, avec le temps elle sera dépossédée; et puisqu'il est assez ordinaire aux hommes qui abandonnent de guerre lasse les vieilles erreurs, d'outrer les vérités nouvelles qu'ils sont forcés d'adopter, et de les interpréter avec une rigueur pédantesque, comme pour se donner l’air de ne pas arriver trop tard à leur secours, je ne désespère pas de voir le jour où les romantiques actuels de l'Italie s’entendront reprocher de n'être pas assez romantiques.

Le règne des erreurs grandes et petites me semble avoir deux périodes bien distinctes. Dans la première, c'est comme étant la vérité qu'elles triomphent; elles sont admises sans discussion, prêchées avec assurance, on les affirme, on les impose; on en fait des règles, et l'on se contente de rappeler, sans aucun raisonnement, à l'observance de ces règles ceux qui s'en écartent dans la pratique. S'il se rencontre quelqu'un d'assez hardi pour les rejeter, pour les attaquer, on dit sèchement qu'il ne mérite pas de réponse, et l'on s'en tient là. Mais peu à peu ces hommes.qui ne méritent pas de réponse, augmentent en nombre; ils en exigent une, et font tant de bruit que l'on ne peut plus faire semblant de ne pas les entendre; on est forcé de croire à leur existence, et il n'est plus permis de dire qu'on les a confondus quand en les a appelés des hommes à paradoxe. Alors il paraît des écrivains (et, par je ne sais quelle fatalité, ce sont toujours des hommes d'esprit), qui, par des argumens auxquels personne n'avait songé, prennent à tâche de prouver que la chose dont en contesté la vérité est d'une incontestable utilité; qu'il ne faut pas en examiner le principe à la rigueur que, dans la guerre qu'on lui fait, il y a quelque chose de léger, de puéril même; que les raisons que l'en entasse, pour en démontrer la fausseté, sont d'une évidence, tout-à-fait vulgaire, presque niaises. Ils vous disent qu'il ne faut pas s'arrêter à l’apparence, mais bien, chercher, dans la durée de cette opinion, les raisons de sa convenance, et la preuve de son utilité dans l’heureuse application qu'en ont faite des hommes qui étaient bien d'autres génies que les hommes d’à présent.

Quand elles, en sont à cette seconde époque, les erreurs ont peu de temps à vivre: une fois dépostées de leurs premiers retranchemens, elles ne peuvent plus s'y rétablir. Or, je ne serais pas loin de croire que la règle des deux unités en est à sa seconde période; en ne prétend plus la fonder sur l’dée de l'illusion et de la vraisemblance, idée absolue, et avec laquelle il n'y aurait pas lieu à transiger; mais cette idée n'est pas soutenable, la fausseté en est reconnue. Il faut donc prouver que les règles n'étant pas nécessaires par elles-mêmes, le sont du moins pour obtenir certains effets réputés avantageux, et qui dépendent de leur observance. Elles se trouvent dès lors dans une position nouvelle, qui paraôt encore assez bonne; elles y sont défendues par des hommes habiles, je le sais: mais dans ce changement de position je ne puis voir qu'un pas, et même un grand pas de l'erreur à la vérité.

Oserai-je vous dire, Monsieur, qu’en France même, où les règles dont nous parlons paraissent si affermies, où l'on est accoutumé à les voir appliqué