Page:Opere varie (Manzoni).djvu/331

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Pour terminer cetto lettre déjà si longue, permettez-moi, Monsieur, de vous exprimer un sentiment bien agréable que m’a fait éprouver l’article dans lequel vous avez combattu mes opinions littéraires.

En examinant le travail d’un étranger, qui n’a pas l’honneur d’être connu personnellement de vous, vous y avez repris ce qui vous a paru contraire à l’idée que vous avez de la perfection dramatique; mais vos critiques, adoucies même par des encouragemens flatteurs, ne sont conçues, pour ainsi dire, que dans l’intérêt universel de la littérature. On n’y voit aucune trace de cet esprit d’aversion et de dédain avec lequel on a traité trop souvent, dans tous les pays, les littératures étrangères. Vous combattez même, Monsieur, pour les foyers poétiques de l’Italie, un homme qui voudrait voir dans tous les pays la perfection de l’art, et qui la regarde, partout où elle se trouve, comme la richesse de tous, comme un patrimoine acquis à toute intelligence capable de l’apprécier. Je ne vous ferai pas le tort de vous louer de cette disposition qui se manifeste partout dans votre écrit, puisque la disposition contraire est injuste et absurde; mais je ne puis ni ne veux me défendre de l’impression heureuse que toute âme honnète éprouve sans doute en voyant ce besoin de bienveillance et de justice devenir de jour en jour plus général en France et en Italie, et succéder à des haines littéraires que leur extrème ridicule n’empéchait pas d’être affligeantes. Il n’y a pas longtemps encore que juger avec impartialité les génies étrangers attirait le reproche de manquer de patriotisme; comme si ce noble sentiment pouvait être fondé sur la supposition absurde d’une perfection exclusive, et obliger, par conséquent, quelqu’un à prendre une jalousie stupide pour base de ses jugemens; comme si le coeur humain était si resserré pour les affections sympathiques qu’il ne pût fortement aimer sans haïr; comme si les mêmes douleurs et la même espérance, le sentiment de la même dignité et de la même faiblesse, le lien universel de la vérité, ne devaient pas plus rapprocher les hommes, même sous les rapports littéraires, que ne peuvent les séparer: la différence de langage et quelques degrés de latitude. C’est une considération pénible, mais vraie, que des écrivains distingués, que ceux-là même qui auraient dû se servir de leur ascendant pour corriger le public de cet égoisme prétendu national, aient, au contraire, cherché à le renforcer; mais le sens commun des peuples et un sentiment prépondérant de concorde, ont vaincu les efforts et trompé les espérances de la haine. L’Italie a donné naguère un exemple consolant de cette disposition. Un homme célèbre, et qu’elle était accoutumée à écouter avec la plus grande déférence, avait annoncé qu’il lassait après lui un écrit où il avait consigné ses sentimens les plus intimes. Le Misogallo a paru, et la voix d’Alfieri, sa voix sortant du tombeau, n’a point eu d’éclat en Italie, parce qu’une voix plus puissante s’élevait, dans tous les coeurs, contro un ressentiment qui aspirait à fonder le patriotisme sur la haine. La haine pour la France! pour cette France illustrée par tant de génie et par tant de vertus! d’où sont sortis tant de vérités et tant d’exemples! pour cette France que l’on ne peut voir sans éprouver une affection qui ressemble à l’amour de la patrie, et que l’on ne peut quitter sans qu’au souvenir de l’avoir habitée il ne se mêle quelque chose de mélancolique et de profond qui tient des impressions de l’exil! ....


fin de la lettre a m.c***