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préface a la science générale

ou conclu, puisqu’il seroit aisé de verifier le calcul soit en le refaisant, soit en essayant quelques preuves semblables à celle de l’abjection novenaire en arithmétique. Et si quelqu’un doutoit de ce que j’aurois avancé, je luy dirois : contons, Monsieur, et ainsi prenant la plume et de l’encre, nous sortirions bientost d’affaire[1].

J’adjoute tousjours : autant qu’on peut faire parler raisonnement, ex datis. Car quoyqu’il faille tousjours certaines experiences pour servir de base au raisonnement ; neantmoins ces experiences estant une fois données, on en tireroit tout ce que tout autre en pourroit jamais tirer ; et on découvriroit même celles qui restent encor à faire, pour l’eclaircissement de tous les doutes qui restent. Cela seroit d’un secours admirable même en politique et en medecine, pour raisonner sur les symptomes et circonstances données d’une maniere constante et parfaite. Car lors même qu’il n’y aura pas assez de circonstances données pour former un jugement infaillible, on pourra tousjours determiner ce qui est le plus probable ex datis. Et voila tout ce que la raison peut faire[2].

| Or les caractères qui expriment toutes nos pensées, composeront une langue nouvelle, qui pourra estre écrite, et prononcée : cette langue sera très difficile à faire, mais très aisée à apprendre. Elle sera bien tost receüe par tout le monde à cause de son grand usage, et de sa facilité [merveilleuse] ⟨ surprenante ⟩ ⟨ et elle servira merveilleusement à la communication de plusieurs peuples ce qui aidera à la faire receuvoir ⟩. Ceux qui écriront en cette langue ne se tromperont pas pourveu qu’ils évitent ⟨ les erreurs de calcul et ⟩ barbarismes, solecismes et autres fautes, de grammaire et de construction ; De plus cette langue aura une propriété merveilleuse, qui est de fermer la bouche aux ignorants. Car on ne pourra pas parler ny ecrire en cette langue que de ce qu’on entend : ou si on ose le faire, il arrivera de deux choses une, ou que la vanité de ce qu’on avance soit manifeste ⟨ à tout le monde ⟩, ou qu’on apprenne en écrivant ou en parlant. Comme en effect ceux qui calculent apprennent en écrivant, et ceux qui parlent ont quelques fois des rencontres auxquelles ils ne pensoient pas, lingua præcurrente mentem. Ce qui arrivera sur tout en cette langue, à cause de son exactitude. D’autant qu’il

  1. Cf. Phil. VIII, 26, 64-65, 125, 200 ; Lettre à Placcius, 1678 (Dutens, VI, 1, 22) ; et Phil., V, 6, f, 19 (ap. Bodemann, p. 82).
  2. Cf. Lettre à Galloys, 1677 (Phil., VII, 21, Math., I, 181).