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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

Après l’avoir mis aux prises avec l’hérésie, épreuve dont il était sorti triomphant, il restait à savoir comment il se tirerait d’affaire dans un procès de magie. Etant donnée l’impétuosité de l’homme, on avait de bonnes raisons pour penser qu’il donnerait tête baissée dans quelque piège habilement tendu. Une accusation de magie conduisait directement au bûcher. La victime choisie fut en 1519 une vieille femme du village de Woippy[1], qui était alors comme un faubourg de Metz, et que le Dominicain Nicolas Savini, grand inquisiteur, voulait convaincre d’hérésie. Le prétexte en était fort délicat. La pauvre femme avait eu sa mère brûlée comme sorcière. Pour se faire une idée de la manière dont Agrippa prenait la défense des accusés qu’il avait à cœur d’arracher à l’inquisition, il faut lire ses lettres 38, 39 et 40 du livre II. La haine implacable que notre auteur a vouée aux moines s’y exhale en épithètes d’une âpreté et d’une vigueur incroyables. Il y a là des lignes qui, a elles seules et prises une à une, sont de merveilleux tableaux, et l’on ne contestera pas qu’il ait fallu à Agrippa un véritable courage pour batailler ainsi, la plume levée comme une épée, contre des ennemis redoutables. On retrouve ici le soldat des guerres impériales, et l’on se figure l’effarement des Dominicains devant semblable combattant.

Le premier plaidoyer d’Agrippa auprès du Grand Vicaire de Metz n’eut pourtant pas le succès désiré. C’est qu’il y agitait une question de droit qui ajournait l’intérêt dramatique du litige. Mais, par son habileté, son amour de la liberté de conscience et son énergique défense, il parvint à triompher encore. Dans une admirable page latine, il épanche dans le cœur de son ami Claude Chansonnette[2] ses rancunes contre l’oppression monacale. Mais il est dit, et ce n’était pas la première fois qu’Agrippa en faisait l’expérience, que l’on ne déchaîne pas impunément contre soi les fureurs d’ennemis irréconciliables.


V

Au déclin de l’année 1519, il annonce à un ami, sans lui en exposer les raisons, sous prétexte qu’il lui en parlera plus tard avec détails, qu’il va quitter Metz. C’est lui-même qui en a obtenu, dit-il, la per-

  1. Village aux portes de Metz, et où les chroniqueurs relèvent au moyen âge de nombreux faits de sorcellerie. Conf. René Paquet, Hist. du village de Woippy, 1878.
  2. Il existe une excellente biographie sur ce personnage par Alphonse Rivier.