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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

Pour Agrippa ce titre de médecin de la reine-mère n’était qu’un titre qui en cachait un autre. La mère de François Ier était, comme toutes les femmes de luxe et de passion, crédule et superstitieuse : il est certain qu’elle n’avait pas été sans avoir entendu parler de l’aptitude de son nouveau médecin à la divination, et le champ était fertile pour les devins. On sait combien la reine-mère était mêlée à la politique ; on sait aussi pourquoi fut pendu Semblançay. Agrippa eut donc fort peu à s’occuper de la santé de Louise de Savoie, qui se portait à merveille. Ce qu’elle voulait de lui c’était une continuelle pronostication du succès de son fils qui guerroyait autour de Pavie contre Bourbon. Au cours d’une lettre à Chapuys, du 21 mai 1525, Agrippa avoue « qu’il a beaucoup à dire sur les événements courants, mais que cela ne lui est point permis depuis qu’il a été admis aux secrets conseils de la Princesse... » c’est avec une véritable répugnance qu’il se prête au rôle de devin qu’elle veut lui faire jouer. Il réclame un meilleur usage des facultés que la nature lui a départies et repousse (si l’on en croit sa correspondance) les propositions qu’on lui fait, de lire dans les astres ou dans les cornues la destinée de tel ou tel personnage de la cour, fût-il roi, duc ou prince[1]. Cette indépendance de caractère ne plut que médiocrement à la reine-mère qui avait d’autant plus sujet de s’en étonner qu’Agrippa ne s’était pas montré si récalcitrant (et elle le savait) envers le Connétable. Il faut dire ici, pour que l’on saisisse bien le caractère du savant bohème, qu’il n’y a chez lui ni enthousiasme politique, ni patriotisme, ni délicatesse. Pour peu qu’on lui offrît des honneurs dont il était avide et de l’argent dont il manquait toujours, il était prêt à toutes les besognes, à servir n’importe quel parti, mais il n’aimait pas qu’on le prît pour un nécromancien. Il n’était ni Allemand, ni Suisse, ni Flamand, ni Français, ni Espagnol ; il était tout cela à la fois selon que le vent de la fortune soufflait de l’un ou de l’autre côté. Le xvie siècle n’était-il pas plein de ces aventuriers pour qui le mot patrie était absolument inconnu ? On vendait ses services, ses capacités, son courage, son intelligence et même ses vertus à tel ou tel prince, suivant qu’on enchérissait. Celui qui payait le mieux était le mieux servi. Louise de Savoie ne payait pas ; quant à François Ier, il avait d’autres soucis en face du plus redoutable et du plus tenace adversaire qu’ait jamais eu roi de France.

  1. Epist., III, 68.