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SA VIE ET SON ŒUVRE


VIII

Quant au Connétable de Bourbon, Agrippa, pendant son séjour à Fribourg, avait été déjà sollicité d’entrer à son service par la plupart de ses intimes, qui tenaient le parti de l’empereur. Lui-même inclinait plutôt à être l’allié de Charles-Quint que de François Ier mais il refusa les propositions qui lui furent faites à ce moment. Peut-être les trouvait-il trop modestes ; peut-être attendait-il mieux de la cour de France. Les déceptions qu’il éprouva auprès de Louise de Savoie et du roi son fils lui firent prêter l’oreille à d’autres ouvertures.

Dans ses correspondances avec ses amis, il trouva moyen de prophétiser au Connétable[1] quelques succès que celui-ci réalisa sans peine. Il avait donc ainsi un pied dans les deux camps. De quelque manière qu’on envisage la conduite d’Agrippa, l’impartialité exige que l’on condamne sa conduite politique. On peut cependant invoquer pour lui des excuses : vaniteux, irritable à l’excès, ayant toujours vécu en nomade, sans racines profondes en aucun pays, étant dans un milieu où les plus honteuses défections passaient pour des mécomptes selon les ambitions déçues, ou pour des vengeances quand les services rendus avaient été payés d’ingratitude ou de dédain, Agrippa devait ressentir plus vivaces les injustices dont on l’abreuvait et l’indifférence avec laquelle on accueillait ses plaintes, ses menaces et jusqu’à ses soumissions. Enfin n’était-il pas Allemand ; il ne trahissait pas son pays. Pour bien juger les hommes, il ne faut pas les sortir de leur époque. Le temps où ils vivent forme autour d’eux comme un cadre indispensable. Une preuve que l’auteur de la Philosophie occulte ne fut pas si mal apprécié par la reine mère devenue bientôt Régente, c’est qu’elle se contenta de n’avoir pour le nécromancien indocile qu’une rancune féminine. On ne récriminait pas qu’il donnât des consultations divinatoires au Connétable[2] ; on constatait simplement qu’il les refusait à Louise de Savoie.

Mais ce n’est pas peu de chose qu’une rancune de femme ; le doc-

  1. On a prétendu que les relations d’Agrippa avec le connétable remontaient à 1523 ; il faut fixer la date de 1524, époque à laquelle Bourbon lui fit faire des propositions. (Voir Epist., IV, 53, 62, 65 ; VII, 21.) La lettre d’Agrippa à Christophe Schilling, en 1523, ne prouve rien. (Epist., III, 40.)
  2. Epist., V, 4 et 6. Voir plus loin, pp. 95 et 96.