Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/168

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l’égoïsme humain ». Si libéralisme, libre pensée veut dire : souhaiter le mieux, alors je suis libre penseur. Je le suis autant que tout homme qui se sent le droit d’être citoyen, parce qu’il porte au fond de son cœur l’amour de sa patrie et la conscience que jamais, en rien, il ne lui nuira. Mais qu’on m’accuse d’avoir voulu le changement, la destruction par des moyens violents, révolutionnaires, non, c’est absurde ».

Dostoïevsky se défend aussi d’être ce qu’on appelle un parleur ; « tous ceux qui m’ont connu pourraient le confirmer. » Il n’aimait pas parler longuement et à haute voix, même quand il était avec ses amis, d’ailleurs bien peu nombreux. Devant le monde, il parlait encore moins, de sorte qu’on lui a fait la réputation d’un homme taciturne, laconique et insociable. « J’ai peu d’amis ; la moitié de mon temps est pris par le travail qui me nourrit ; l’autre moitié appartient à ma maladie : des accès d’hypocondrie qui depuis trois ans me font souffrir. À peine me reste-t-il quelque loisir pour lire et apprendre ce qui se passe dans le monde ; par conséquent je n’ai qu’excessivement peu de temps pour mes amis. »

On accusait Dostoïevsky de s’être prononcé « sur la politique, sur l’Occident, sur la censure ». Mais qui ne parlait de ces questions, qui du moins n’y pensait ? « À quoi donc me sert de m’être instruit, pourquoi les études ont-elles éveillé en moi la curiosité des choses si je ne dois pas avoir le droit d’émettre mes opinions personnelles ou de protester contre une opinion différente dont l’autorité a été établie par avance ? »

À cette époque, trente-six millions d’hommes mettaient sur une carte tout leur avenir[1], leurs biens, leur existence et celle de leurs enfants ! Ce tableau n’était-il pas fait pour

  1. La révolution de 1848.