Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prodigalité, une insouciance remarquables. Il prend la direction d’une revue, Époque, ne réussit pas, est déclaré en faillite et, pour fuir ses créanciers, se réfugie à l’étranger où il passe quatre ans dans une misère noire. « Je retournerais volontiers aux travaux forcés pour y rester autant d’années que la première fois, si je pouvais seulement payer mes dettes. Je vais recommencer à écrire des romans sous la menace du bâton, c’est-à-dire de la nécessité. L’angoisse, l’amertume, les soucis, voilà ma destinée[1] ».

Ses lettres sont désespérées : « Depuis six mois, ma femme et moi nous sommes dans une telle misère que notre dernière pièce de linge est engagée (ne le dites à personne)… Bébé peut tomber malade… Ma femme le nourrit elle-même et elle a besoin de manger… Et on me demande de faire de l’art, de la poésie pure, sans vertige, on me donne en exemple Tourgueniev, Gontcharov, des richards ! Qu’on vienne voir dans quelle situation je travaille[2] !… »

Dostoïevsky se met à jouer à la roulette. « Vous êtes un homme de cœur, écrit-il à Maïkov, il ne m’est pas pénible de me confesser à vous. Mais je vous écris à vous seul. Ne m’abandonnez pas au jugement des hommes ! Comme nous passions non loin de Bade, je résolus de m’y arrêter. Une pensée séduisante me tourmentait, celle de sacrifier 10 louis pour gagner 2.000 francs et peut-être davantage. Ce qu’il y a de plus horrible, c’est qu’il m’est arrivé jadis de gagner ; ce qui est pis encore, c’est que ma nature est mauvaise et trop passionnée. Le diable me joua un tour : en trois jours je gagnai 4.000 francs avec une facilité extraordinaire. Si vous saviez comme le jeu vous attire ! Je vous jure, ce n’était pas seulement de la cupidité… Je continuai à jouer et je perdis mes dernières res-

  1. Lettres à Vrangel.
  2. Lettres à Maïkov.