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apprend à son fils à prier pour le bonheur de Votre Majesté Impériale et de toute Sa maison.

« Majesté ! Vous êtes comme le soleil qui éclaire les justes et les injustes. Vous avez déjà rendu le bonheur à des millions de vos sujets.

« Rendez encore heureux un pauvre orphelin, sa mère et un malheureux malade dont le châtiment n’est pas terminé et qui est prêt à donner toute sa vie pour le Tsar, le bienfaiteur de Son peuple.

« Avec un sentiment d’humilité et de fidélité ardente et sans bornes, j’ose m’appeler le plus fidèle et le plus reconnaisant sujet de Votre Majesté.

« Th. Dostoïevsky. »


Dostoïevsky avait déjà eu un moment de faiblesse humaine en écrivant sa Défense. Sa supplique nous en montre un second, plus grave encore. Certes, nul homme ne peut le lui reprocher, — il a trop souffert — mais cette défaillance est une tache noire qui marque le commencement d’une vie réactionnaire, rétrograde. Un Dostoïevsky ne devait pas, ne pouvait pas s’agenouiller devant un Romanov, fût-il Alexandre II.

L’auteur de la Maison des Morts revient donc à Saint-Pétersbourg. Il y mène une vie pénible et douloureuse ; il fait du journalisme pour vivre. Il écrit cependant Idiot, Possédés, Crime et Châtiment. Il travaille trop hâtivement, la forme, le style ne le préoccupent pas. « J’écris plus mal que Tourgueniev, je le sais, mais pas beaucoup plus, mal. Comment se fait-il cependant que moi, pauvre, je ne touche que 100 roubles par feuille imprimée, tandis que Tourgueniev, riche, en touche 400 ? C’est justement parce que je suis pauvre, je suis obligé de me hâter, d’écrire pour de l’argent et d’abîmer mon œuvre[1] ! »

En 1865, il perd sa femme ; deux ans après il se remarie. Il est toujours en quête de fonds et, quand il s’est procuré de l’argent, le fait disparaître en quelques jours avec une

  1. Dostoïevsky. Lettres.