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future, de l’immortalité de l’âme se présentaient déjà à lui, et sa débile intelligence d’enfant travaillait avec toute l’ardeur de l’inexpérience à éclairer ces problèmes que le génie humain, dans ses plus grands efforts, arrive seulement à poser sans parvenir à résoudre.

La timidité qui condamne Léon Tolstoï à l’isolement moral, l’oblige à rentrer en lui-même, à vivre dans ses pensées, à prendre le goût de la réflexion et de l’analyse intérieure[1]. Un jour, il lui vint à la pensée que le bonheur ne dépend pas des événements extérieurs, mais de la façon dont nous les acceptons, qu’un homme accoutumé à supporter la douleur ne peut pas être malheureux. Et, pour s’accoutumer à la peine, il s’exerçait, malgré des douleurs atroces, à tenir un dictionnaire à bras tendu pendant cinq minutes, ou bien il s’en allait dans le grenier, il prenait des cordes et « il se donnait la discipline » sur le dos, avec tant de vigueur, que les larmes lui venaient aux yeux.

Avant d’entrer à l’Université, Tolstoï fait des projets : « Chaque dimanche, j’irai à l’église et après, pendant une heure, je lirai les évangiles… Un dixième de l’argent que je recevrai, je le donnerai aux pauvres, sans que personne le sache, pas aux mendiants mais aux orphelins, aux vieillards. Je ferai moi-même ma chambre. Mon domestique est un homme comme moi, je ne veux pas qu’il travaille pour moi. J’irai à l’Université à pied. Si l’on me donne une voiture, je la vendrai et je distribuerai l’argent aux pauvres. » Il se propose de beaucoup travailler, d’être le premier, de « savoir tout » en deuxième année et de terminer ses études à dix-huit ans avec deux médailles d’or. Après sa thèse de doctorat, il sera « le premier savant de la Russie ». Il ajoute très modestement :« Même

  1. Voy. notre ouvrage La philosophie de Tolstoï, p. 8.