Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’après Mme Jouschkova, tante de Tolstoï, ce dernier fut dans son enfance et dans son adolescence d’une humeur folâtre, il se signalait souvent par l’étrangeté de sa conduite et par la vivacité de son caractère, mais toujours par la honte de cœur.

Un jour, — il avait à peine huit ans — il se prit d’un désir irrésistible de voler en l’air. Cette idée le hanta jusqu’au moment où il se décida à la mettre en pratique. Il s’enferma dans la chambre d’études, gagna la fenêtre et fit un mouvement pour voler en l’air. Il tomba d’une hauteur de deux sajènes et demie[1] et fut malade pendant un certain temps.

Vers l’âge de douze ans, à une matinée dansante, une ravissante fillette troubla le jeune comte. Elle s’appelait Sonia. « Je ne voyais plus que Sonitchka. J’étais content de lui parler et, quand il m’arrivait de trouver un mot que je jugeais spirituel ou comique, je la regardais aussitôt pour voir quel effet j’avais produit ; mais quand je me trouvais à un endroit d’où Sonitchka ne pouvait ni me voir ni m’entendre, je devenais silencieux... » Il craignait cependant de ne pas plaire... « Je compris qu’il était absurde de ma part de vouloir captiver un être aussi charmant. Je ne pouvais attendre la réciprocité et je n’y songeais même pas ; mon âme débordait de joie sans cela. Je ne comprenais pas qu’on pût demander un bonheur plus grand que celui dont ce sentiment remplissait mon cœur, et qu’on pût souhaiter autre chose que de le voir durer éternellement... »

À quatorze ans, le contraste entre l’apparence extérieure de Tolstoï et son activité morale devint grand. Il vécut dans un isolement moral absolu, enfoncé en lui-même. Les questions abstraites de la destinée humaine, de la vie

  1. Sajène = 2 met. 134.