Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/231

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taine animosité personnelle et, parce qu’ils n’étaient pas comme il faut, je ne les considérais pas comme mes égaux. J’hésitais entre l’estime pour eux, ce à quoi me disposaient leur savoir, leur honnêteté et la poésie de la jeunesse et la répulsion que m’inspiraient leurs manières non comme il faut. » Malgré tout son désir, il fut absolument impossible au jeune homme de se lier avec ses camarades. Leurs idées étaient tout à fait opposées.

Tolstoï ne peut sans effroi se rappeler ses années universitaires. Menait-il cette vie consciemment ? le rendait-elle heureux ? Non. Il était toujours mécontent de lui-même, « mais chaque fois que j’essayais de me prononcer sur mon ardent désir d’être bon moralement, je ne rencontrais que mépris et moqueries[1] ».

Un jour, Tolstoï cousit quelques feuilles de papier et il écrivit en tête : Règles de vie. Il voulait dresser la liste des devoirs qu’il aurait à remplir dans sa vie, ainsi que les règles de conduite dont il comptait ne jamais s’écarter. Il divisait même ces devoirs en trois catégories : les devoirs envers lui-même, envers le prochain et envers Dieu. L’idée de la possibilité de se dicter des règles pour toutes les circonstances de la vie et de se laisser guider par elles, lui plaisait beaucoup ; elle lui semblait à la fois simple et belle. Chacune des pensées qui lui passaient par la tête rentrait admirablement dans l’une des catégories de ses devoirs. Cependant il ne commençait jamais… Au bout de quelque temps, il déchira ce cahier : il lui fut impossible d’exprimer en paroles ce qui était clair pour lui en pensées. Cela le faisait souffrir. « Sont-ils donc stupides tous mes rêves sur le but et le devoir de ma vie ? se demandait-il. Pourquoi suis-je triste, comme si j’étais mécontent de moi-même, alors que je m’imaginais éprouver une pleine satisfaction?…

  1. Ma confession.