Page:Ossip-Lourié - La Psychologie des romanciers russes du XIXe siècle.djvu/232

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pourquoi tout est-il si beau et va si bien dans ma tête, alors que tout est si laid et va si mal sur mon papier et, en général, dans ma vie dès que je veux faire l’application de n’importe laquelle de mes idées[1] ? »

L’Université n’a rien donné à Tolstoï. À l’époque où il fit ses études, l’enseignement de l’Université russe était plutôt médiocre. Les vacances, Tolstoï les passait à la campagne, à Iasnaïa-Poliana. Il allait souvent loin de la maison, à l’abri du soleil, il se mettait à l’ombre et il lisait. De temps à autre, ses yeux quittaient le livre pour contempler le ruisseau et les rayons dorés du soleil disparaissant dans le lointain de la grande forêt, et il sentait au-dedans de lui cette même fraîcheur, cette même jeunesse, cette même intensité de vie qui respiraient autour de lui, dans toute la nature… Quand il lui arrivait, dans ces promenades, de rencontrer des paysans au travail, bien que le bas peuple n’existât pas pour lui, il éprouvait invariablement, sans s’en rendre compte, un violent embarras et il tâchait de ne pas être aperçu.

En 1846, il prit subitement la résolution d’abandonner l’Université et de se consacrer à la vie rustique. Dans une lettre de cette époque adressée à sa tante il dit : « Je vais me consacrer à la vie rustique, pour laquelle je sens que je suis né. Vous direz que je suis jeune. Peut-être, mais cela ne m’empêche pas d’avoir conscience du penchant que j’ai à aimer le bien et à désirer le faire. J’ai trouvé ma propriété dans le plus grand désordre. À force de chercher un remède à cette situation, j’ai acquis la certitude que le mal vient de la misère des moujiks ; ce mal ne peut disparaître que par un long et patient travail.

N’est-ce donc pas un devoir, un devoir sacré que de m’occuper du bonheur de ces sept cents âmes[2] ? Pourquoi

  1. Jeunesse.
  2. Oui, Tolstoï eut des serfs, sept cents serfs !