Page:Ostwald - L’Évolution d’une science, la chimie, 1909.djvu/138

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Naturellement Berzélius ne céda pas, mais ses fidèles l’abandonnèrent. Liebig, qui, au début, avait été l’un des plus ardents admirateurs du grand Suédois et qui avait gagné son cœur lors d’une rencontre personnelle, se trouva au cours de cette lutte en opposition de plus en plus nette avec le maître vénéré, qui provoquait ces attaques injustes et trop amères. Enfin, la rupture ouverte devint inévitable. Les interprétations par lesquelles Berzélius essayait d’accorder la théorie électrochimique avec les faits nouveaux successivement découverts en chimie organique devenaient de jour en jour plus forcées et plus insuffisantes. Finalement on vit l’homme, qui pendant une génération avait formé et guidé l’esprit scientifique, presque abandonné de tous les chimistes en ce qui concernait ce nouveau chapitre de la science.

Berzélius eut le sort auquel n’échappent guère les savants de valeur à moins qu’ils ne meurent prématurément ou qu’ils renoncent à temps à leur situation de directeur spirituel. D’ordinaire, dans l’histoire, les grandes figures sont empreintes d’une inaltérable majesté ; la mémoire nous les montre tels qu’ils étaient dans toute leur gloire, comme l’œil conserve l’image du soleil qu’il vient de regarder. Mais, en réalité, dans la vie de tous les hommes qui ont exercé sur leur temps quelque influence décisive, on peut distinguer trois périodes. D’abord ils sont bien en avance sur tous leurs con-