Page:Ostwald - L’Évolution d’une science, la chimie, 1909.djvu/141

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sion a été plus puissante. Toute résistance est inutile, et le développement de la science se fait malgré lui. Il lutte en vain contre les choses nouvelles qu’il peut de moins en moins comprendre et apprécier ; il y use ses dernières forces, et l’homme à qui l’humanité doit une éternelle reconnaissance meurt dans l’amertume et l’affliction, avec la conviction très sincère d’avoir vu sombrer l’œuvre qu’il avait lui-même réalisée. C’est précisément le sort réservé aux travailleurs les plus consciencieux et les plus attachés à leur devoir, parce qu’ils se croient astreints à élever la voix d’autant plus haut, que les nouveaux chemins s’écartent davantage de ceux qu’ils ont reconnus comme les bons, au cours de leur longue et féconde carrière. Le côté tragique de cette évolution est dans sa nécessité ; c’est l’irréductible contradiction entre l’évolution de la science pendant des milliers d’années, et la vie d’un seul homme, resserrée dans un court espace de temps.

Berzélius réunit ces deux conditions, et il dut ressentir toute la dureté de ce sort inéluctable des grands hommes. Le monde civilisé tout entier, pendant une génération, lui avait reconnu sans conteste l’hégémonie chimique, parce qu’il avait des vues générales, et qu’il était en même temps très consciencieux. Et tout cela maintenant l’empêchait de signaler et même de remar-