Page:Otlet - Monde - 1935.djvu/137

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

son existence propre. Est-ce là une fiction doctrinale, et purement légale, ou bien est-ce une réalité objective ? Des discussions sans fin ont agité ce problème, qui au moyen âge déjà avait trouvé son expression fondamentale dans la querelle des universalistes et des nominalistes. (Les noms généraux correspondent-ils à des réalités ? L’universel est-il une vue de l’esprit, ou existe-t-il réellement ? Quelle est l’ontologie de la personne morale ?) Mais il en est de ces entités morales, juridiques, politiques, comme des entités qu’avaient créées autrefois la physique, la chimie, la physiologie et jusqu’à la médecine ; toutes les forces étaient matérialisées ; l’électricité était un fluide et la chaleur aussi ; la vie était distincte des êtres vivants (vitalisme) ; chaque maladie était d’une essence distincte. Les fictions légales et morales sont nécessaires, indispensables, pour traduire à l’esprit certaines réalités, certains complexes de forces qui autrement resteraient vagues et fuyants ; mais leur caractère de fiction ne doit jamais être perdu de vue. La conscience collective n’a pas la même réalité que la conscience individuelle. Quand on emploie l’expression « âme collective », on n’entend pas « hypostasier » la conscience collective. Il ne faut pas plus admettre d’âme substantive dans une société que dans l’individu (Durkheim). La volonté de l’État n’est pas autre chose que la volonté des individus désignés pour parler au nom de l’État. En raisonnant autrement, on risquerait fort de tomber dans une métaphysique, juridique et politique, voire dans une mythologie ou théologie qui conduirait directement à de monstrueuses exagérations, celles qui caractérisent aujourd’hui les notions courantes de certains pays sur l’État, érigé en personnalité distincte des individus qui le composent et immolant ceux-ci au néant de sa destinée et de sa gloire.

Éléments généraux des sociétés. — Toute société arrivée à un certain degré de civilisation et continuant à se développer repose sur : a) une autorité ; b) des croyances : conscience des vrais besoins sociaux et doctrines des principes de l’organisation sociale ; c) un programme : buts à réaliser en commun, idéal national ; d) une orga-